Migrants

L’errance indécente de l’Aquarius

Que faut-il retenir de l’errance en mer de l’Aquarius et de ses 630 migrants rescapés d’un naufrage collectif en Méditerranée ?

Tout d’abord qu’elle pose la question de l’obligation internationale d’accueil de naufragés par le port le plus proche du lieu du naufrage. Le manquement à cette règle est d’une gravité considérable car, si elle a été unanimement adoptée, c’est parce qu’elle conditionne d’une façon générale le secours en mer auprès d’embarcations sinistrées, quelles qu’en soient les raisons. Plus aucun bateau ne dévierait demain sa trajectoire pour porter secours à un bateau en perdition s’il ne se sait pas garanti de pouvoir continuer sa route une fois les secours terminés. La règle de l’ouverture du « port le plus proche » pour le débarquement de rescapés est dictée par cette nécessité, et elle vaut pour toutes les mers du monde, et tous les ports.
Sauf désormais en Méditerranée ! Les « ports les plus proches », à Malte et en Italie, sont restés hermétiquement fermés à l’Aquarius, et c’est un « port très lointain », Valence, qui a autorisé le débarquement des rescapés du naufrage. Certes l’Aquarius est un navire affrété par une ONG, SOS Méditerranée. Mais très souvent, c’est un navire commercial qui arrive le premier sur site pour porter secours aux naufragés. Combien seront dissuadés de le faire s’ils savent qu’ils seront interdits d’accoster dans le port le plus proche ?
Le « port le plus proche », à défaut de l’Italie, aurait dû être un port français, et particulièrement un port corse. Quand l’Aquarius franchit i Bocchi di Bonifaziu, à sept kilomètres à peine de la Corse, et donc du territoire français, il est encore à deux jours de mer de Valence en Espagne. Deux jours durant lesquels le monde entier a suivi les violentes polémiques entre le gouvernement italien et le reste de l’Europe, particulièrement la France d’Emmanuel Macron.
Dans ce concert d’hypocrisie d’Etat, les élus corses ont fait entendre leur voix, et donné l’image d’une Corse prête à contribuer à la solution d’un drame humanitaire. Bien leur en a pris, car la diplomatie du « pays des droits de l’Homme », toute entière mobilisée pour défendre une attitude indigne, n’aurait sans doute pas hésité à nous faire porter le chapeau !
L’attitude du nouveau gouvernement italien, bien décidé à forcer le débat sur la crise migratoire que l’Europe refuse d’affronter depuis des années, a provoqué le scandale. Mais n’est-il pas temps d’en finir enfin avec la politique de l’autruche ? Ne serait-ce, au moins, que pour constater que le pic de la crise des migrants est en grande partie derrière nous ?
En effet, la guerre a baissé d’intensité en Irak et en Syrie, tandis que l’Europe, à l’instigation de l’Allemagne première destination d’accueil de la vague migratoire syrienne, a, depuis 2015, apporté une certaine forme de « solution », grâce à un accord financier avec la Turquie d’Erdoggan à coup de milliards d’euros annuels pour qu’il retienne à la frontière syrienne les candidats au départ vers l’Europe. La morale est peut être bousculée par ce procédé vis à vis d’un dictateur patenté dont cette manne financière consolide le pouvoir, mais le résultat est là : la vague migratoire à travers la Grèce a été divisée par dix, et, restés plus proches de leur pays d’origine, le « retour » de ces migrants, indispensable pour la reconstruction après la guerre, n’en sera que plus facile.
L’Italie a pris depuis peu le même chemin pour contenir la vague migratoire venue sur ses côtes via la Lybie en raison de conflits tout aussi sanglants, même s’ils sont largement ignorés, dans l’Afrique subsaharienne, Erythrée, Soudan, Somalie. Le « couloir libyen » que ces cohortes de réfugiés emprunte est sous l’autorité des factions qui exercent le pouvoir réel en Lybie, et que l’apport financier de ce trafic humain fait vivre. L’Italie a fait en Libye, autrefois colonie italienne, comme Merkel en Syrie, en apportant, via ses services secrets, des subsides au puzzle des « autorités libyennes de fait ». Aussi, pour ce début 2018, les flux migratoires ont été divisés par quatre: 9.000 pour les quatre premiers mois de 2018, contre 35.000 pour la même période de 2017.
A ce tableau, il faut ajouter l’action plutôt visionnaire de la France au Mali sous François Hollande. En enrayant le processus de déstabilisation du Sahel, sa politique a sans doute en grande partie contenu une vague migratoire qui, venant de l’ancienne AOF (Afrique Occidentale Française), aurait préférentiellement concerné la France.
La crise migratoire est en fait désormais contenue. Fallait-il dès lors se livrer à ce manège indécent autour de l’Aquarius et ses centaines de naufragés qu’il fallait de toutes façons ne pas laisser mourir en mer ? L’Espagne a tendu la main et sauvé l’Europe de l’impuissance. Mais comment ne pas admettre qu’à son niveau largement abaissé désormais, l’immigration des réfugiés n’est plus qu’un problème à régler par une juste répartition dans les différents pays de l’Union Européenne ? Et comment ne pas voir que l’axe Italie-Hongrie-Pologne-Autriche du populisme, qui menace l’avenir de l’Europe depuis que l’Italie, troisième économie d’Europe, y a cédé, sera détruit de facto dès l’instant que les quotas pour répartir les immigrés qui ont accosté en Italie seront refusés par les autres pays de l’axe anti-immigrés.
L’Espagne de Pedro Sanchez a montré la voie d’une Europe faisant de la politique, quand la France d’Emmanuel Macron a fait le contraire !

François Alfonsi.

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