Fallait-il tenter de résister ? Pour l’armée de la République d’Artzakh si inférieure en nombre et en armements, et condamnée par un isolement international manifeste, était-ce seulement pensable ? Les élus de la République d’Artzakh ont préféré renoncer face à l’évidence de leur défaite annoncée, et leur territoire est passé désormais sous le total contrôle du dictateur de Bakou, Ilham Alijev. Les Arméniens n’ont le choix qu’entre l’assimilation ou l’exil, et le processus de nettoyage ethnique est enclenché désormais.
Depuis la guerre de l’automne 2020 lancée par l’armée azérie avec le soutien de la Turquie, et le renfort d’armements fournis par Israël, la situation des Arméniens n’a cessé de s’affaiblir. Avec la perte de plus de 6.000 victimes lors de cette guerre de 44 jours, dont de nombreux jeunes soldats, le peuple arménien d’Artzakh, privé de ravitaillement, d’armements et de munitions par la fermeture du corridor de Latchine, n’avait manifestement pas les ressources pour relever un tel défi militaire.
Au Nagorno-Karabakh, la population arménienne de 150.000 habitants à l’origine, a été réduite à 120.000 après le cessez-le-feu de novembre 2020 et la perte de plusieurs territoires conquis par l’Azerbaïdjan dont les habitants ont très souvent rejoint l’Arménie voisine une fois expulsés de leurs villages envahis.
Le retournement d’alliance de la Russie laisse l’Arménie sans défense, malgré le Traité de Sécurité Collective (l’équivalent de l’Otan) passé en 2002, qui aurait dû provoquer l’intervention de l’armée russe pour empêcher l’agression azérie. Mais la Russie ménage ouvertement la Turquie depuis le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine en février 2022, et elle s’appuie sur l’Azerbaïdjan pour contourner le blocus économique occidental qui lui ferme l’exportation de son gaz. Mieux, l’Union européenne achète en toute connaissance de cause aux azéris un gaz qui n’est autre que du gaz russe rebaptisé lors de son transit par les gazoducs de la mer Caspienne.
L’Arménie est donc seule, abandonnée par son allié officiel la Russie. Elle est lâchée aussi par ses soutiens occidentaux qui ont signé des accords économiques avec celui qu’Ursula von der Leyen n’a pas hésité de qualifier de « partenaire fiable », donnant ainsi son blanc-seing à une des pires dictatures au monde.
Marraine du territoire arménien du Nagorno-Karabakh enclavé dans les frontières de l’Azerbaidjan, l’Arménie ne pouvait dès lors déclencher une solidarité armée et espérer renverser le rapport de forces outrageusement à l’avantage de l’agresseur azéri et de son allié turc.
La défaite subie par les Arméniens en Artzakh ne restera malheureusement pas sans conséquence sur le reste du territoire arménien. L’axe formé par la Turquie et l’Azerbaïdjan prend toute l’Arménie en étau, avec un objectif affiché : avoir le contrôle du sud du pays et y établir une liaison physique entre les deux territoires turcophones, en réduisant l’Arménie à une enclave autour de sa capitale Erevan.
Ce projet a été affirmé par les deux alliés dès le lendemain de leur victoire éclair. Il consiste à prendre le contrôle d’un « corridor de Zanguezur » à travers la montagne du même nom, et de couper ainsi l’Arménie de sa frontière sud avec l’Iran par laquelle passe l’essentiel de son commerce, les frontières à l’ouest et à l’est avec la Turquie et l’Azerbaïdjan étant totalement fermées. Saluant la victoire acquise sur l’Arménie au Nogorno-Karabakh lors d’une réunion tenue dans le Nakhitchevan, territoire intégré à l’Azerbaïdjan bien qu’il en soit séparé par le sud de l’Arménie, le duo Erdogan-Aliev a ouvertement annoncé ses intentions, et le plus probable, vu la liberté d’action qui leur est accordée par la communauté internationale, est qu’ils enchaînent très rapidement en imposant un nouveau rapport de forces dans le sud de l’Arménie. D’ailleurs plusieurs postes avancés azéris sont déjà en place sur le territoire arménien, sur des hauteurs qui dominent habitations et garnisons.
Sans alliés, l’Arménie sera donc de nouveau extrêmement vulnérable. Il y a urgence de lui donner les moyens de pouvoir résister et empêcher la victoire des dictatures sur la seule démocratie réelle dans cette partie du monde. •