L’organisation est rodée, les militants sont tous présents, et les manifestants sont venus en masse, un million au moins, pour cette Diada 2018, tenue sur un tronçon de 7 kilomètres de l’avenue Diagonal, une des plus grandes avenues d’Europe, large de plus de 50 mètres. Elle est bondée de manifestants habillés aux couleurs du drapeau catalan. Le silence se fait, puis à 17h14, qui symbolise l’année 1714, date de ce qui fut le « Ponte Novu » de l’Histoire catalane, une clameur immense se fait entendre. Le doute est levé : les Catalans ne renonceront jamais !
Les événements se sont succédés depuis la Diada du 11 septembre 2017, il y a un an. Le 1er octobre, le referendum promis s’est tenu malgré les pressions policières et judiciaires pour l’empêcher. Il a rassemblé plus de deux millions de suffrages pour le oui à l’indépendance, malgré la répression policière attaquant avec une violence inouïe les bureaux de vote, malgré les piratages par les services espagnols sur le réseau internet et les files d’attente, interminables et supposées dissuasives, ainsi provoquées.
La proclamation officielle d’indépendance par la Generalitat de Catalunya, conséquence démocratique du résultat du referendum, a provoqué la fureur des autorités madrilènes, qui ont fait alors appel à l’article 155 de la constitution espagnole pour prendre le contrôle de la Catalogne et de ses institutions. L’Etat a déclenché en même temps une série d’arrestations parmi les plus hauts dirigeants catalans dont une partie, dont le Président Carles Puigdemont, ont préféré partir en exil à Bruxelles et ailleurs en Europe.
Des élections de la Généralitat ont été convoquées pour le 21 décembre. Au grand dam de Madrid, et au grand soulagement du mouvement catalan, les forces indépendantistes ont gardé la majorité absolue au sein du Parlement, réélisant Carles Puigdemont et Oriol Junqueras, le premier en exil, le second en prison.
La « Justice » espagnole, véritable institution répressive au service de l’Etat central, a multiplié alors les procédures pour renforcer la répression. Sept nouveaux dirigeants sont incarcérés alors qu’ils avaient été placés en liberté provisoire, et un mandat d’arrêt européen est lancé pour obtenir l’extradition de Carles Puigdemont et des autres exilés. Mais la Belgique, puis l’Allemagne, estiment que le dossier des juges espagnols est vide pour incriminer des hommes politiques qui ont toujours respecté le cadre démocratique et n’ont jamais eu recours à la violence. A Berlin, à Bruxelles, à Edimbourg, trois cours de justice européennes désavouent les poursuites lancées par les procureurs espagnols, si bien que l’Espagne est obligée de renoncer à demander l’arrestation et la remise à la justice espagnole de Carles Puigdemont et des dirigeants incriminés.
Mais ceux qu’elle détient en Espagne restent emprisonnés. Tout juste la destitution de Mariano Rajoy, emporté par le scandale d’une corruption colossale impliquant le Partido Popular au pouvoir, a-t-elle permis d’obtenir du nouveau Premier Ministre, le socialiste Pedro Sanchez, un rapprochement dans une prison catalane pour les « prisonniers politiques » catalans. Il est vrai que Pedro Sanchez a dû en partie son élection au soutien des députés catalans, et des autres députés basques, galiciens, valenciens solidaires. Mais la machine répressive ne faiblit pas, et le procès s’annonce des emprisonnés et des exilés pour novembre prochain. Ils risquent jusqu’à 20 ans de prison, alors qu’il n’ont rien à se reprocher sinon d’avoir exécuté le mandat démocratique du peuple catalan. Leur procès sera un grand moment de mobilisation, en Catalogne et au delà de la Catalogne pour continuer et accentuer le « désaveu en Europe » de l’attitude anti-démocratique du pouvoir madrilène.
L’exigence de liberté pour les prisonniers politiques était la première priorité des manifestants de cette Diada 2018. Le succès de la mobilisation était aussi capital pour consolider les mouvements indépendantistes, partis politiques et société civile, qui avaient besoin, après les assauts répétés de la répression, de confirmer que la mobilisation du peuple catalan n’avait pas faibli, malgré l’article 155, malgré la menace des années de prison, et malgré la complaisance des gouvernements européens pour Madrid.
Ce 11 septembre 2018, le mouvement indépendantiste catalan a reçu une véritable bouffée d’oxygène.
François Alfonsi.