Nouvelle Calédonie

Les œillères meurtrières de l’État jacobin

Par François Alfonsi

 

La situation en Nouvelle Calédonie a brusquement basculé. Plusieurs morts, de jeunes kanaks, des policiers, un conducteur caldoche d’un véhicule tué par balle alors qu’il forçait un barrage. Le climat est insurrectionnel et ne s’apaise pas. L’État-Macron a conduit la sortie du processus de Matignon de manière aberrante, menant avec des œillères jacobines absurdes un dossier pourtant mis sur la voie d’un règlement pacifique par les accords de Matignon de 1988 et ceux de Nouméa en 1998. Un gâchis épouvantable.

 

 

Le déraillement du processus de Matignon remonte à décembre 2021, quand s’est tenu le troisième référendum prévu par les accords de Nouméa. On sortait alors à peine de la crise du Covid-19, cette même année les élections municipales avaient été repoussées. La Nouvelle Calédonie avait été très durement touchée, particulièrement les populations canaques plus vulnérables et moins facilement atteintes par les campagnes de vaccination. Les mouvements kanaks ont demandé alors un report du referendum en Kanaky comme cela avait été le cas pour toute la France quelques semaines auparavant, mais cela leur a été inexplicablement refusé. S’en est suivi un boycott du scrutin par la quasi-totalité des Kanaks et une participation réduite aux seuls autres Calédoniens, avec pour résultat 96,5 % de rejet de l’indépendance puisque seuls les anti-indépendantistes étaient allés aux urnes.

Au terme de cette manœuvre, l’État jacobin a proclamé définitive l’appartenance de la Kanaky à la France, prétendant ainsi qu’un vote ayant écarté la quasi-totalité du peuple autochtone pouvait être considéré comme une décision démocratique d’application du droit à l’autodétermination !

Leurs œillères sont telles qu’ils n’ont pas considéré l’absurdité morbide d’une telle décision qui a exclu les Kanaks de la décision finale sur l’avenir de leur territoire ancestral. Seul a compté l’ordre juridique jacobin qui avait tout décidé depuis Paris, de refuser le report demandé à l’origine du boycott, puis d’entériner en le prétendant démocratique un referendum d’autodétermination qui s’est tenu sans les populations directement concernées. Et tout ça sans remettre en cause, ne serait-ce qu’une seconde, leur légitimité à le faire !

Les lendemains de décembre 2021 ont été gérés dans le même état d’esprit. L’intégration de Sonia Backès, leader de la droite la plus anti-indépendantiste, au gouvernement qui a suivi l’élection présidentielle de mai 2022, a été le message de totale fermeture envoyé aux Kanaks qui dénonçaient le referendum et demandaient qu’il soit recommencé. Puis, après des mois de manœuvres dilatoires, le gouvernement a décidé de passer en force en lançant une modification de la Constitution mettant fin à l’accord de Nouméa sur la constitution du corps électoral habilité à décider de l’avenir du territoire.

 

Ce corps électoral était le cœur même de l’accord de Nouméa accepté par Jean Marie Djibaou qui consistait à mettre à égalité de droits les Kanaks, population autochtone, et ceux qui étaient qualifiés comme les « victimes de la colonisation », dont la présence sur le territoire relevait le plus souvent de déportations depuis la métropole, au fil de plusieurs générations, formant le groupe de population désigné sous le nom des Caldoches.

Toucher à ce corps électoral pour y introduire les populations nouvelles venues de l’Hexagone plus récemment, dans l’administration de l’État ou dans les métiers nécessaires au développement de l’extraction du nickel, en forte expansion depuis vingt ans, qui représente en emplois directs et indirects un bon quart des postes de travail du territoire, revenait à retirer aux Kanaks tout espoir d’une représentation équilibrée.

Or les tendances exprimées par les résultats des deux premiers referendums montraient un intérêt croissant parmi les électeurs caldoches pour construire l’avenir du Territoire sur une base indépendantiste. Et cette évolution, passant de 1 % à 15 % au sein de la communauté caldoche en une génération selon les sondages, montrait que le processus de Matignon voulu par Michel Rocard avait amorcé une convergence porteuse d’avenir.

Mais cela contrariait trop les intérêts de la France. Paris a alors délibérément saboté les accords de paix, et provoqué, par sa volonté de modification du corps électoral, le retour des émeutes sur le territoire.

La seule solution est de tout remettre en cause, la réforme constitutionnelle en cours comme la validité du pseudo-referendum de 2021, et de rouvrir la voie d’une souveraineté calédonienne démocratique et apaisée. Après les violences de ces derniers jours, tout est à reconstruire. •