Conflits armés

L’escalade. Jusqu’où ?

Par François Alfonsi

 

Les points chauds du globe sont en Ukraine et au Proche Orient. Mais des zones inflammables existent ailleurs, où d’autres conflits fourbissent leurs préparatifs, notamment en Extrême Orient autour de la question de Taiwan. Comment cela pourrait-t-il évoluer ?

 

 

En Ukraine, le conflit en cours est largement éclipsé par le fracas des bombes de Gaza et de Beyrouth. Mais il n’a rien perdu de son intensité et de ses conséquences pour l’Europe, menacée sur sa frontière. Face à une Russie qui bénéficie de sa supériorité démographique et économique, et qui, surtout, ne dépend que d’elle-même, l’Ukraine doit composer avec les interdits de ses alliés, qui limitent politiquement l’usage des armes qu’ils fournissent, les États-Unis comme l’Europe, elle-même entravée par ses désunions.

Sur ce conflit plane le spectre de la prochaine élection américaine, qui pourrait, si Trump est élu, remettre en question ce qui représente plus de 50 % des aides militaires et économiques reçues par l’Ukraine, sans que l’Europe, y compris le Royaume Uni, touchés par la crise économique, ne puisse s’y substituer en volumes financiers et logistiques équivalents. L’industrie européenne d’armements est probablement incapable de donner seule suite aux besoins de cette guerre. Pendant ce temps Poutine a réussi à mettre sur pied des alliances improbables comme celle avec le régime de Corée du Nord qui envoie obus, missiles et même désormais des bataillons de soldats pour monter sur le front ukrainien.

 

Jusqu’à présent l’Ukraine résiste avec l’énergie de tout peuple qui joue sa survie. Elle a contré la première offensive de 2022, et même réussi une première contre-offensive, sans pour autant repousser l’armée russe de toutes les zones occupées lors de l’invasion de 2022.

Son génie militaire a remporté de beaux succès en mer Noire et contre la Crimée grâce à des drones sous-marins mis au point par son industrie et par l’usage des armes longue portée fournies par ses alliés sur ce territoire légalement ukrainien. La route de l’exportation des céréales est restée ouverte, et l’assise financière du pays préservée.

Mais elle est en partie privée de cet usage des armes dont elle dispose sur le front terrestre pour attaquer l’ennemi là où il prépare ses assauts, c’est-à-dire depuis une zone arrière située en territoire russe. Limitée à ses moyens propres pour ces actions militaires, elle n’a pas l’efficacité suffisante malgré son industrie performante dans le domaine de la fabrication de drones. Elle a d’ailleurs exporté ce savoir faire au nord du Mali, ce qui a permis aux Touaregs de résister victorieusement à la milice Wagner en Azawad, en décimant une partie de ses bataillons, obligeant Moscou à renoncer à leur rapatriement massif vers le front ukrainien.

Mais surtout, depuis le déclenchement de la guerre de Gaza, il est clair que la priorité pour les américains a changé, car si Israël est un enjeu stratégique pour Washington, l’Ukraine l’est beaucoup moins, pour Trump comme pour Biden. Malgré tout, une victoire de Kamala Harris serait sans doute bien moins problématique pour Kiyv.

 

Au Moyen Orient chacun montre ses muscles, Israël et Washington à Téhéran, et l’Iran à Israël et ses alliés. Sur le terrain, l’armée de Tel Aviv bénéficie d’un avantage technologique et militaire évident, doublé par la redoutable efficacité de ses services de renseignement au Liban et probablement aussi à Téhéran. Cet avantage semble moindre à Gaza comme l’a montré le fiasco du 7 novembre 2023, et, ensuite, la faculté qu’a eu l’ennemi public n°1 Yaya Sinwar d’échapper aux raids incessants et massifs menés par Tsahal à Gaza. Sa mort un an plus tard lors d’une opération de ratissage aléatoire montre que, s’il a été pris dans les mailles du filet, il n’en était pas identifié comme la cible première.

Dernière démonstration de force redoutable : des bombardiers de dernière génération sont venus depuis les USA larguer des bombes impressionnantes sur des dépôts d’armes enterrés par la milice Houthi sur plusieurs mètres de profondeur au Yemen, avec une force de destruction inimaginable avant que des vidéos aient mis en ligne ces explosions. Message lancé ainsi indirectement à Téhéran pour qu’il hésite à intensifier ses attaques contre Israël, en les informant des armes que les américains sont capables de fournir à Tsahal.

Parallèlement, chacun constate que les représailles annoncées par Tel Aviv contre l’Iran ne sont toujours pas effectives plusieurs semaines après, l’information ayant largement circulé que Washington s’opposait aux cibles choisies par Netanyahu.

 

De facto, deux camps se sont formés autour des deux conflits en cours, portés par les mêmes intérêts géostratégiques. Malgré la réprobation très large des opinions publiques américaine et européennes face aux massacres de Gaza, Ukraine, Europe, Israël et USA sont embarqués dans une même coalition que Washington entend diriger sur tous ses choix stratégiques, n’en déplaise aux généraux israéliens. En face, contre Israël et sa guerre totale faite aux Palestiniens, l’Iran et ses alliés du Liban et du Yemen sont tentés de généraliser encore plus le conflit en multipliant et en intensifiant les fronts ouverts.

Mais Washington a tout intérêt à ne pas laisser dégénérer davantage ces situations, tant ukrainienne que palestinienne, car cela mobiliserait très lourdement ses capacités militaires. Dès lors, à Taiwan, la porte pourrait être ouverte à une offensive de l’armée chinoise, ce qui, fondamentalement, ferait basculer le monde entier dans l’incertitude la plus totale.

Un monde qui est devenu beaucoup plus dangereux désormais. •