Réponse à la crise économique Covid-19

L’Europe relancée ?

La crise économique et sanitaire amène à remettre en cause les blocages qui jusque là empêchaient les avancées dans la négociation européenne. Nouveaux fonds propres, relèvement des plafonds pour le budget européen, création d’un fonds de relance et de transformation comportant de vrais mécanismes de solidarités à travers un recours majoritaire à des subventions : l’Union Européenne se met en mouvement pour se sortir de la récession économique qui la menace. Le Parlement Européen joue là un rôle essentiel, malgré les conditions très difficiles de travail à distance, dans ces évolutions politiques importantes.

 

Le premier chiffre qui a fait bouger les choses est celui de la chute annoncée du Produit Intérieur Brut de l’Union Européenne : -7,4%. Mais ce chiffre moyen cache de grandes disparités entre les pays du Sud qui seront les plus touchés par le virus et par ses conséquences économiques, notamment en raison de l’impact sur l’activité touristique, et les pays du Nord et de l’Est. Espagne Italie et Grèce prévoient une récession allant jusqu’à 10% de leur PIB, alors que leurs dettes publiques atteignent déjà des sommets, ce qui ne leur permettra pas d’emprunter de quoi éviter l’effondrement économique.
Le Commissaire européen à l’économie, l’ancien premier ministre italien Paolo Gentiloni, l’explique sans ambages : les moyens nécessaires en injonction d’argent public pour surmonter la crise économique varient du simple au triple d’un pays de l’Union à l’autre. Et si ceux qui ont les moyens d’emprunter ne mettent pas leur capacité financière à disposition des pays qui sont le moins solvables, ces derniers finiront par s’effondrer, entraînant dans leur chute toute l’économie européenne, y compris celle des zones aujourd’hui encore prospères.

Comme toujours en politique, nécessité fait loi. Comment transférer les moyens économiques qui manquent notamment à l’Italie, l’Espagne et la Grèce depuis les pays les plus prospères, particulièrement l’Allemagne, les Pays Bas et les pays nordiques, si ce n’est en revigorant l’outil de mutualisation des économies entre ces pays qu’est l’Union Européenne ?
Or l’Union Européenne est aux prises depuis début 2018 avec des blocages politiques sans précédent dans la négociation de son « Cadre Financier Pluriannuel » qui est fixé par périodes de sept années. Celui en vigueur, le Cadre Financier Pluriannuel 2014-2020, s’arrête dans sept mois. Et le futur CFP 2021-2027 doit être adopté à l’automne au plus tard.

L’irruption du coronavirus dans cette phase cruciale de négociation est venue rebattre les cartes, et, une fois les premières réactions très « égoïstes » de l’Eurogroupe (la réunion des Ministres des Finances des 27 Etats-membres) dépassées et publiquement regrettées par la Présidente de la Commission, lors d’un déplacement en Italie au plus fort de la crise sanitaire, c’est une autre musique qui a commencé à se faire entendre.
Le Parlement Européen, par le vote ce 15 mai d’une résolution co-signée par le PPE, les Conservateurs, le groupe Renew (Macron), les socialistes et les Verts, a donné sa pleine mesure à la nécessité de déployer en grand la solidarité européenne face à la crise.
Certes le Parlement n’est pas décisionnel et il faudra attendre le sommet des chefs d’Etat pour qu’une décision réelle intervienne. Mais le spectre politique très large des forces politiques signataires, et le vote ultramajoritaire (505 pour, 119 contre), lui donne une force inédite d’autant que le Conseil n’a pas réussi jusqu’à présent à formuler la moindre proposition de son côté.

Quels sont les verrous qui ont sauté au fur et à mesure ? Premier verrou : l’utilisation de la capacité financière du budget européen pour garantir un emprunt d’urgence réalisé aux conditions les meilleures du marché mondial. En effet ce budget public de 150 milliards d’euros annuels, hyper-rigoureux et bénéficiant donc de la meilleure notation par Moody’s et les autres, était interdit, par décision politique des Etats, de recourir à l’emprunt. Il dispose donc désormais d’un endettement de 540 milliards d’euros depuis le 9 avril, appuyé sur son budget propre, somme mise à disposition des Etats qui ont eu les plus lourdes charges à assumer dans l’urgence là où la pandémie a été la plus forte (100 Mds pour le financement du chômage technique, mise en place de 240 Mds de soutien financier direct aux Etats, et 200 Mds auprès de la BEI pour soutenir les entreprises mises en danger par la crise).
Mais le Parlement veut aller plus loin et générer un endettement qui ne sera pas seulement appuyé sur le budget européen, mais sur la capacité budgétaire de tous les Etats réunis. Et l’objectif est de mobiliser ainsi jusqu’à 1.500 Mds supplémentaires, en majorité des subventions, mises en place pour soutenir le plan de relance et de transformation de l’économie européenne, et notamment de ses secteurs sinistrés comme le tourisme.

Avec un art consommé du contrepied, Macron et Merkel viennent d’en promettre le tiers, 500 Mds d’euros, ce qui, de l’avis de tous les spécialistes, sera insuffisant pour faire face aux besoins de la relance de l’économie européenne. Mais cette réponse dès le lendemain du vote survenu au Parlement Européen, montre que ce dernier a enclenché un mouvement qui, pour les « orthodoxes financiers » a une odeur de scandale, mais qui vient de provoquer ce premier pas « franco-allemand ».
D’autres suivront dont l’ampleur sera déterminée par l’ampleur de la crise. En prenant la tête de l’action pour la relance et la transformation économique de l’Europe au lendemain de la crise du coronavirus, l’Union Européenne se relance aussi politiquement. Il était temps !

François Alfonsi.