Huit minutes et quarante-six secondes : c’est la durée de l’agonie de George Floyd, gorge écrasée par le genou d’un policier blanc, laissant échapper de suppliants « je ne peux plus respirer », jusqu’à ce qu’il meure étouffé.
Genou à terre, partout dans le monde, ces huit minutes et vingt-six secondes sont autant d’interminables « minutes de silence » que des centaines de milliers de manifestants ont reconstituées de Minneapolis à Washington, et dans toutes les grandes villes américaines, et aussi à Paris, Londres, Berlin, Turin, Sydney…
Un demi-siècle après Martin Luther King, la discrimination raciale ressurgit aux USA comme une réalité concrète et violente, y compris son nouveau Ku-Klux-Klan à travers une multitude de groupuscules suprémacistes blancs qui sèment la violence et la mort, et qui infiltrent l’appareil répressif policier où ils se concentrent mécaniquement.
La complaisance politique fait le reste : tolérance judiciaire, hiérarchie gangrénée, policiers abusant systématiquement de leurs pouvoirs jusqu’à pourchasser régulièrement des délinquants à la peau noire jusqu’à la mort, lors « d’accidents » sans témoins.
Le martyre de George Floyd a pu être filmé dans toute son incroyable durée. Il est la preuve en images de tous ceux qui ont eu lieu avant lui et qui n’ont pu être prouvés faute de témoins, ou du fait de témoins complaisants.
La vague de protestation qui s’est enflée depuis est pleine de tous ces meurtres anonymes que les proches n’ont jamais pu oublier, de tous ces propos suprémacistes relayés par internet et assumés par une Amérique Blanche largement raciste, y compris au sommet de l’Etat avec Donald Trump. Comme il y a cinquante ans passés, elle fait écho en Europe et dans le monde occidental, cet ensemble de « nations blanches » qui ont prospéré des siècles durant grâce à l’esclavage, et au racisme qui en a été l’idéologie associée.
Le combat pour l’accès aux droits civiques, commencé au 19ème siècle (abolition de l’esclavage), recommencé dans les années 60 contre la ségrégation raciale en Amérique, combat prolongé en Afrique du Sud jusqu’à la fin de l’apartheid en 1991, est encore d’actualité dans toutes ces sociétés qui se sont construites autour d’un sentiment racial de supériorité, construction mentale consubstantielle de la colonisation qui a consisté à s’accaparer de pays entiers et à soumettre leurs peuples par la force au nom d’une supériorité raciale relayée jusque dans les manuels scolaires de Jules Ferry et des ses homologues anglais, espagnols, portugais, néerlandais, belges italiens ou allemands.
Dans la montée des populismes européens d’extrême droite qui se sont développés sur le rejet de l’immigration venue d’Afrique et du Proche-Orient, le racisme est omniprésent. Il louvoie entre les lois qui le condamnent, il emprunte la multitude des chemins que permet désormais le développement d’internet, il s’exprime de plus en plus ouvertement à travers des groupuscules suprémacistes blancs directement inspirés des Etats Unis.
En Italie, c’est un meurtre raciste, commis par l’un d’entre eux, qui a été assumé par Matteo Salvini en pleine campagne électorale sur le thème « il y a trop d’immigration, ça devait arriver ». En Allemagne ex-RDA ça a été jusqu’au meurtre d’un dirigeant de la CDU, le parti d’Angela Merkel, jugé responsable de sa politique d’immigration plus libérale qu’ailleurs en Europe. La France n’est pas en reste comme l’a montré l’immense défilé la semaine dernière à Paris à l’appel de la famille d’un jeune décédé « accidentellement » alors qu’il était poursuivi et arrêté par des policiers. Le meurtre en direct de George Floyd a réveillé leur certitude que leur fils ou leur frère a subi un sort comparable, précipité sciemment vers des lignes haute tension, bousillé intentionnellement par une portière ouverte pour le faucher à pleine vitesse, ou tout simplement victime de chutes qui n’ont rien d’accidentelles.
L’ordre est un bien précieux pour une société. Il ne peut qu’être menacé si les « gardiens de l’ordre » adhèrent un tant soit peu à cette idéologie raciste à laquelle il faut mettre fin, même si elle vient de loin, définitivement.
L’indignation unanime exprimée à travers le monde face au racisme assassin doit faire en sorte que toute forme de laxisme à son égard disparaisse à jamais, ici et ailleurs.
François Alfonsi.