Viendra, viendra pas ? Le feuilleton des visites annoncées d’Emmanuel Macron en Corse rebondit régulièrement. Depuis le désastreux déplacement officiel de février 2018, et alors que le « grand débat » provoqué par la crise des gilets jaunes l’amène à sillonner les treize régions officielles de l’Hexagone, il ne peut faire « sauter » l’étape de la Corse.
Mais pour y tenir quel discours ?
En décembre, on nous avait annoncé la venue d’Edouard Philippe, le premier ministre, déplacement annulé en catastrophe. Puis la venue d’Emmanuel Macron a été programmée pour le 19 février. La Préfète avait même annulé sa présence, annoncée pour couper le ruban de l’ouverture de la déviation de Prupià, pour se rendre à Cuzzà afin de mieux préparer la venue du Président de la République dans la Haute Vallée du Tàravu. Là encore le déplacement a été « reporté », et Jacqueline Gouraud est venue faire le bouche-trou en achetant des beignets sur le marché d’Aiacciu. La nouvelle date qui est aujourd’hui avancée est celle du 4 avril. Avec l’incertitude d’un possible nouveau report, puisque c’est devenu une habitude. En fait cette valse-hésitation est le signe d’un embarras qui tient au contenu du discours à tenir plutôt qu’à un calendrier à aménager. En février l’an dernier, Emmanuel Macron avait choisi un discours de la fermeture, sur fond de commémoration de l’assassinat du Préfet Erignac. La mise en scène était soignée, depuis le casting de ceux qui l’ont accompagné, avec Jean Pierre Chevènement en « guest star », jusqu’au décorum lors du discours officiel de l’Alb’Oru à Bastia, bannissant le drapeau corse et ravalant les élus corses, pourtant tout fraichement auréolés d’un score-canon de 56,5% des voix aux élections de la Collectivité de Corse, au rang « d’élus locaux » que l’on soumet à une fouille approfondie avant de les laisser gagner leur place. La forme choisie de la prestation présidentielle était en ligne avec les termes de son discours dont la seule pseudo-ouverture était l’annonce d’une révision constitutionnelle qui a fait un flop retentissant avant même que l’affaire Benalla, puis la crise des gilets jaunes, ne la repoussent aux calendes grecques.
Que pourrait être le « discours de Cuzzà » s’il se confirme qu’Emmanuel Macron, dont la tournée hexagonale en lien avec le « Grand Débat » a privilégié les communes rurales, y tiendrait sa réunion corse ? L’intérêt du mouvement des « gilets jaunes » est qu’il amène à un focus sur la précarité, un mal si répandu en Corse, sur le pouvoir d’achat, ici obéré par un coût de la vie encore plus élevé qu’ailleurs, ce dont le prix des carburants est l’illustration criante, et sur la « fracture territoriale » plus sensible que jamais dans l’intérieur de l’île. D’autant que la « conférence sociale » tenue à l’initiative de la Collectivité de Corse en réponse à la mobilisation des gilets jaunes a occupé le terrain bien avant que l’Etat ne mette en place son propre dispositif de réunions. Et aux doléances exprimées, elle a permis d’ajouter une série de propositions concrètes : comme ailleurs quand les prix dérapent (départements d’outre-mer) agir sur la fiscalité pour abaisser le coût des carburants, et en encadrer strictement les prix ; rétablir en Corse une TVA réduite pour le logement social pour desserrer les prix de revient des organismes HLM, et donc baisser les loyers pour loger les plus modestes ; et toute une série de propositions sur laquelle le Président de la République devra se positionner.
Placé ainsi en situation de devoir répondre à des revendications formalisées par un débat local tenu avec l’appui des autorités institutionnelles de la Collectivité de Corse, Exécutif, Assemblée et Conseil Economique, Social et Culturel, le débat de Cuzzà lui permettra moins qu’ailleurs de pratiquer l’art de l’esquive dont il s’est fait une spécialité lors de réunions marathon durant lesquelles il monopolise la parole. Et il le pourra d’autant moins que plusieurs démonstrations publiques sont programmées, notamment par Femu a Corsica.
Un an après son premier voyage officiel, tellement négatif, Emmanuel Macron a l’occasion d’une « session de rattrapage ». Mais en a-t-il la volonté ?
François Alfonsi.