Cap'artìculu

Ne pas céder aux sirènes de Mùrtuli !

Au fil des années, les rebondissements judiciaires et médiatiques autour du Domaine touristique de Mùrtuli à Sartène décrivent la réalité de la Corse. Ces rebondissements couvrent plusieurs champs, économique, social, judiciaire et même celui des faits divers. Bref la société corse en raccourci, et une sorte de « débat de société » ancré dans le concret d’un cas d’espèce bien typé.

 

 

L’opposition à la base se fait entre le droit, protecteur du littoral, défendu avec opiniâtreté par U Levante, et le fait accompli, auto-justifié par une réussite économique avérée sur fond de valorisation touristique de ce site naturel exceptionnel de plus de 2.000 hectares, sur le littoral au sud de Sartè.

Fort de ses antécédents familiaux bien implantés dans le secteur touristique, le principal propriétaire et promoteur du site, Paul Canarelli, a fait le choix économique du « super-luxe » d’un accueil hôtelier élitiste. Ses clients sont célèbres, ex-Président de la République, stars mondiales du showbiz, magnats de l’économie, et autres fortunes attirées par l’originalité de son produit fait de privatisation du littoral et d’immersion dans un espace réservé luxueux et rare. Aux dires de ses laudateurs, Mùrtuli, c’est la Corse idéale !

Mais cette aventure économique ne pouvait qu’être en contradiction avec la loi Littoral, et aussi avec plusieurs autres principes chers aux yeux de la grande majorité des Corses tels que le libre accès au littoral et à ses plages, par terre (sentier douanier) comme par mer. Autre entorse assumée, et condamnée par les tribunaux, l’accaparement, y compris par la force, de la totalité du site par éviction des autres propriétaires, fussent-ils eux aussi millionnaires. Mais l’intimidation largement pratiquée avec l’aide d’amis sulfureux n’a pas suffi à désarmer tous les opposants, au premier rang desquels la valeureuse association U Levante.

 

Au-delà de la restauration de quelques bâtisses anciennes devenues des logements très confortables, le moyen principal trouvé pour réaliser plusieurs infrastructures luxueuses a été d’utiliser la très grande surface du Domaine pour doubler l’activité touristique par une activité agricole qui a permis d’obtenir des droits à construire ensuite systématiquement détournés.

Ainsi la prairie est devenue golf, le bâtiment agricole est devenu club-house ou restaurant, la piscine a été remplie de bottes de foin l’hiver pour échapper aux photos aériennes, tandis que la justification était toute trouvée pour la présence continue sur le site de toutes sortes d’engins nécessaires à ces travaux incessants. U Levante a exercé sa vigilance avec le soutien des nouveaux services internet tels que Google Earth, alors que les services de l’État et la commune de Sartè, manifestement sous influence, ont volontiers fermé les yeux.

 

Le feuilleton judiciaire s’est étalé sur plusieurs années et plusieurs procès, au fur et à mesure des infractions constatées. Si certaines ont pu bénéficier de délais de prescription, sur lesquels les services de l’État auraient bien des comptes à rendre, beaucoup ont été si flagrantes et si caractérisées que les condamnations ont suivi, et que l’on arrive désormais au bout des procédures d’appel et de cassation. Devant les tribunaux, la cause semble entendue désormais.

Aussi les tenants du Domaine de Mùrtoli tentent-ils de rebondir sur le terrain médiatique, et une manifestation de soutien a eu lieu regroupant 200 personnes à Figari. Le principal des manifestants était constitué des obligés du Domaine qui bénéficient des retombées de sa réussite économique. S’y agrègent quelques cautions médiatiques qui trempent leur plume pour vanter la « réussite » de ce modèle touristique qui n’a pu se déployer qu’au détriment de la loi, ainsi que quelques élus politiques et socio-professionnels. Et dans la foulée de ces obligés, on trouvera aussi des gens sincères et abusés.

Aussi quelques principes doivent être rappelés avec clarté : utiliser la couverture de l’agriculture pour habiller une opération touristique d’envergure n’est pas servir l’agriculture ; contourner et détourner les lois visant à la protection du littoral ne contribue pas à valoriser le potentiel touristique de la Corse, bien au contraire ; privatiser le littoral à des fins commerciales, qui plus est en violation de la loi, n’est pas respecter les droits du peuple corse.

Et cela quoi que puissent en dire et en écrire ceux qui ont cédé aux sirènes du Domaine de Mùrtuli ! •