Une fois fermé le débat institutionnel autour de la proposition de révision de la Constitution, ce qu’Edouard Philippe avait signifié à Gilles Simeoni après un simulacre de discussion, il avait été tout de même admis que serait ouverte une fenêtre de dialogue sur le statut fiscal en vigueur en Corse. Bruno Le Maire, Ministre de l’Économie, l’a engagé en faisant ses propositions.
Il s’agit d’un dialogue qui «marche sur la tête », comme le veut la bonne logique jacobine à la française : au lieu d’une démarche de propositions de la Collectivité de Corse appelant une réponse de l’État, on assiste à des propositions de l’État soumises à avis de la Collectivité de Corse, avis qui restera purement consultatif puisque l’État disposera in fine du pouvoir de décision sans partage.
Dans cet ordre inversé du dialogue, on ne sera pas étonné de constater que le concept même d’autonomie fiscale soit totalement absent du rapport de l’Inspection Générale des Finances qui a été chargée de formuler ses propositions, au nombre de vingt-quatre, pour faire évoluer le statut fiscal de la Corse. Sur le plan structurel, la seule concession admise illustre le chemin qu’il restera à parcourir pour arriver à une autonomie fiscale «de plein droit et de plein exercice » pour la Corse. La proposition n° 12 propose ainsi « de permettre par la loi à la Collectivité de Corse de moduler la taxe sur les transports dont elle bénéficie ». Cette taxe sur les transports date du statut de 1991 (statut Joxe), son montant était de 30 francs par passager en 1992, année de son introduction, et elle est encore exactement du même montant, 4,57 euros, vingt-sept ans plus tard. Et pour cause: la loi a fixé cette taxe une fois pour toutes, interdisant à la Collectivité corse d’en ajuster librement le montant et l’assiette. Dans la proposition qui est faite, la Collectivité de Corse, pour cette taxe qui ne coûte pas un sou à l’État, dont l’effet ne concerne que la Corse et, notamment, son activité touristique puisqu’elle renchérit le coût des transports, pourrait désormais la moduler entre haute et basse saison. Tamanta strada ! Difficile d’illustrer mieux le degré zéro d’autonomie fiscale qui est laissée à la Corse par l’État français !
Une autre disposition illustre à quel point le débat est biaisé. Bruno Le Maire a ainsi repris dans ses propositions (proposition n°16) l’amendement que Jean Félix Acquaviva a déjà fait voter par l’Assemblée Nationale, c’est à dire exclure du Crédit d’Impôt à l’Investissement en Corse (CIIC) les investissements parahôteliers qui « permettent à certains de se payer des résidences secondaires avec 30% de crédit d’impôt ». Très bien ! Mais combien cette niche fiscale coûtait-elle à l’État ? À 100.000 euros au bas mot par opération, et des centaines de dossiers par an, cela se chiffre en dizaines de millions d’euros. Somme qui, soit dit en passant, a jusqu’à présent été comptabilisée par l’État comme un « avantage fiscal » pour la Corse, alors qu’elle bénéficiait pour l’essentiel à des contribuables aisés du continent, tout en favorisant une orientation économique qui est l’exact contraire de celle votée dans le Padduc par la Collectivité de Corse.
On aurait pu espérer que l’État reconnaisse avoir fait fausse route et propose à la CdC de mettre cette même somme à disposition d’une de ses priorités. Ce n’est bien sûr pas dans les intentions de Bruno Le Maire. Tout juste propose-t-il de revoir à la hausse ce CIIC pour les investissements réellement productifs, ce qui est positif, mais le coût in fine de cette extension sera bien moindre que ce que coûtait la disposition antérieure jusqu’ici détournée au détriment des intérêts de la Corse.
Pour ce qui concerne les droits de succession visés par les Arrêtés Miot, le rapport est muet, pas question d’en transférer la compétence à la Collectivité de Corse !
Dans ses propositions, le Ministre de l’Économie propose de prolonger le Programme Exceptionnel d’Investissement issu des accords Jospin en prolongeant les crédits non encore consommés (environ 300 M€), ce qui n’est pas rien même si ce n’est pas un engagement nouveau. Il promet de s’attaquer au scandale du prix des carburants sur l’île, mais les effets sont pour l’heure une simple supputation. Il admet aussi que l’alignement de la fiscalité sur les tabacs se fasse sans baisse de recettes pour la Collectivité de Corse en lui substituant une partie du produit de la TVA perçue sur l’île.
Il restera donc de la présentation faite à Aiacciu ce lundi par Bruno Le Maire le sentiment d’un débat biaisé, où l’État privilégie ses propres intérêts en rognant progressivement les avantages fiscaux de la Corse, Cependant, le «dépoussiérage » de plusieurs dispositions peut se révéler potentiellement porteur d’intérêt pour la Corse, tel que le renforcement, après en avoir exclu le secteur parahotelier, du Crédit d’Impôt pour les Investissements en Corse, qui est un bon levier pour stimuler l’activité économique.
Mais, faute de la moindre avancée sur la question fondamentale de l’autonomie fiscale « de plein droit et de plein exercice », on est encore très loin du compte !
François Alfonsi.