Le format du débat était brouillon, encombré de multiples interventions allant de l’urbanisme à la carence de services de santé, en passant par la fermeture des bureaux de poste dans le rural. La seule intervention promise à une certaine capacité de synthèse était prévue pour être celle du Président de la République, laissant les élus de la Corse en situation « d’encaisser » la parole officielle sans pouvoir y répondre. Franchement, qu’aurait-on été faire dans cette galère ?
D’autant que la réunion de Cuzzà a été précédée d’un entretien exclusif à Corse-Matin qui donnait le ton de la visite présidentielle. Un exemple parlant à propos de la langue : le journaliste rappelle à Emmanuel Macron que « pendant la campagne, à Furiani, vous aviez promis d’engager la ratification de la Charte des langues minoritaires » et il l’interroge : « C’est toujours prévu ? » Réponse : « Oui. Cette charte a posé par le passé plusieurs problèmes constitutionnels. Mon souhait est de trouver les voies adaptées permettant de mettre en oeuvre l’essentiel des mesures de la Charte ». On admire là la dialectique macronienne : il répond « oui », mais il explique aussitôt qu’il fera « non ». Et il enchaîne : « je suis hostile à la coofficialité de la langue corse car il n’y a qu’une langue officielle dans la République ». Fallait-il vraiment aller à Cuzzà pour s’entendre répéter pareille fin de non-recevoir ?
Cependant l’étape corse du tour des régions réalisé par le Président de la République dans le cadre du « grand débat » lancé suite à la crise des « gilets jaunes » est intéressante à décrypter.
Les maires étaient spécialement invités, et à défaut leurs adjoints ou même des conseillers municipaux. Ce qui en Corse, avec 360 communes, fait beaucoup de monde ! À peine 20 % des maires sont venus en personne, quelques-uns se sont fait représenter, mais l’affluence était vraiment limitée.
Ailleurs sur le continent, de telles réunions ont fait le plein, et les élus ont même « joué des coudes » pour s’y faire remarquer. Il n’en a pas été de même en Corse. Ajoutons que certains élus, non nationalistes, y sont allés pour tenir des discours qui ont dû contrarier le chef de l’État, en l’appelant à ouvrir un véritable dialogue avec la majorité territoriale de la Corse.
Pendant ce temps, le mot d’ordre Isula Morta a permis des rassemblements à Aiacciu et Bastia devant les Préfectures, et même au Col Saint Georges au passage du cortège présidentiel. La mobilisation réalisée en quelques heures n’a certes pas paralysé la Corse, mais la réprobation populaire était sensible contre la politique d’Emmanuel Macron et son refus de mener une négociation véritable avec Gilles Simeoni et l’Exécutif de la Collectivité de Corse.
Aussi, sans entrer dans un discours de rupture sans lendemain, nous avons réussi à faire comprendre, au-delà de la Corse, l’impasse politique choisie par Emmanuel Macron. Les propos tenus à propos de l’assassinat il y a vingt ans du Préfet Erignac tenaient plus d’un alibi pour justifier une position de blocage, que d’un argument réel pour expliquer son refus d’engager le dialogue qui confortera la Paix en Corse.
Le cadre contraint du « Grand Débat », qui était le motif de la venue du Président de la République en Corse, était certainement très peu favorable pour libérer la parole et ouvrir un nouveau dialogue entre la Corse et l’État.
Mais il faudra bien, un jour ou l’autre, sortir de l’impasse. La majorité territoriale y est prête. À l’État, enfin, d’ouvrir les yeux ! Le plus tôt sera le mieux.
François Alfonsi.