Cap'artìculu

Recomposition en cours des équilibres mondiaux

Le retrait des Américains de plusieurs régions du monde se poursuit quel qu’en soit le coût politique, comme en Afghanistan où l’arrivée au pouvoir des Talibans a été triomphale. Dans le même temps de nouvelles priorités stratégiques se font jour face à la Chine et son expansionnisme économique, politique et militaire.

 

En suscitant la démarche stratégique Aukus avec l’Australie et le Royaume Uni, en lien aussi avec le Japon, la Corée du Sud et surtout Taiwan qui est directement menacée par les visées militaires chinoises, les USA ont signifié qu’ils avaient désormais d’autres priorités que le Proche Orient. Et d’autres alliés prioritaires que l’Union Européenne.

La France, particulièrement, a été la victime de ce retournement d’alliance, en perdant un méga-marché militaire australien aussitôt récupéré par le Royaume Uni. Le Brexit en sort renforcé, et l’Europe affaiblie.

Le retrait américain d’Afghanistan fait suite à un précédent retrait de Syrie au détriment des forces kurdes laissées seules face à l’agression turque au Rojava, le Kurdistan syrien, en partie occupé par Ankara avec le soutien de groupes islamistes rescapés de Daech et parrainés par la Turquie.

En fait, le monde change à grande vitesse.

Il y a d’abord les réalités technologiques dont la maîtrise est gage de puissance militaire. Après-guerre, c’est la disposition de la bombe atomique qui valait visa pour les sommets de la gouvernance mondiale, notamment au Conseil de Sécurité de l’ONU. Mais l’arme absolue n’est que dissuasive, et les guerres ont continué à « bas bruit », exigeant que des armées soient engagées loin de leurs bases dans des conflits asymétriques, coûteux en argent et en vies humaines, face à des guérillas insaisissables comme en Afghanistan.

L’arrivée des drones, du GPS et la multiplication des satellites militaires modifient radicalement les théâtres d’opérations. L’engagement des armées conventionnelles est moins nécessaire désormais puisque l’adversaire peut être « frappé » militairement depuis un centre opérationnel basé aux États-Unis d’où des drones sont envoyés et pilotés jusqu’à atteindre leurs cibles à des milliers de kilomètres. Exposer des troupes sur le terrain devient moins indispensable, et l’argent ainsi économisé permet de financer la supériorité technologique indispensable pour prétendre à la supériorité militaire.

 

Autre donnée nouvelle, le développement de groupes paramilitaires qui sont mis à disposition de puissances régionales protagonistes de conflits. La Russie est la plus en avance avec cet étrange « groupe Wagner » dont elle monnaie politiquement les services quand des gouvernements sont en difficulté. On a vu ces mercenaires aguerris prêter mainforte en Libye et en Centrafrique hier, au Mali désormais. Ils peuvent semer la terreur sans créer de problèmes diplomatiques majeurs. La Turquie fait de même avec des supplétifs recrutés dans les décombres de l’État Islamiste en Syrie. Ils ont été à l’œuvre face à l’Arménie au Nagorno-Karabakh où ils ont participé à la victoire azérie, en sus des drones dont la Turquie est désormais un des fabricants mondiaux principal.

L’orientation stratégique de mise en retrait prise à Washington concerne tous les alliés, y compris, même si c’est dans un avenir sans doute plus lointain, l’Union Européenne dont l’appartenance à l’OTAN ne suffira plus pour garantir sa sécurité.

Comment l’Europe réagira-t-elle face à ce nouvel ordre mondial qui s’annonce ? Certes elle dispose d’une industrie militaire encore puissante, et elle peut influer diplomatiquement sur les situations internationales grâce à sa technologie avancée et à son pouvoir économique. Mais il lui faudra se préparer, elle aussi, à un « retrait américain » qui, si elle ne faisait rien, la laisserait bien démunie demain en cas d’aggravation brutale des risques de guerre. •