Les infractions sont anciennes et datent des précédentes mandatures, celles d’Ange Santini et Paul Giacobbi. Mais le coupable n’a pas de couleur politique : c’est l’institution « Collectivité Territoriale de Corse » qui a fait l’objet de cette condamnation car elle a mis en place, et financé sur sept années, de 2007 à 2013, un service complémentaire illégal. Et c’est donc la Collectivité de Corse, conduite par Gilles Simeoni, qui doit trouver comment sortir de ce gouffre financier.
Ce service complémentaire a été conçu à l’époque pour soutenir à bout de bras la défunte SNCM, compagnie d’État tout juste privatisée au profit de Veolia, dont les effectifs pléthoriques avaient un impératif besoin d’emplois sur le Danielle Casanova, paquebot acheté en son temps sur injonction de l’État, à grands renforts de fonds publics engagés pour soutenir les Chantiers Navals de Saint Nazaire alors en difficulté. Cette acquisition fondamentalement anti-économique avait aussitôt justifié le recrutement de centaines de marins dont le coût, faute de marché suffisant, a précipité la ruine de la compagnie publique. Puis elle a été vendue à Veolia, après un passage éclair, dans des conditions suspectes, c’est le moins que l’on puisse dire, dans le giron du fonds d’investissement Butler notoirement lié aux ambitions de Dominique de Villepin, alors premier ministre. Veolia avait mis ses conditions à ce sauvetage, et le fameux service complémentaire en faisait partie. Décision prise par l’État, puis mise en œuvre par la Collectivité Territoriale de Corse.
Car, à chaque étape de cette affaire, on trouve un commanditaire, l’État, et un auteur, la Collectivité de Corse. Mais le commanditaire est resté dans l’ombre et seule la Collectivité de Corse s’est retrouvée devant les tribunaux.
Grâce à la manne de ce service complémentaire taillé sur mesure, la SNCM d’alors avait débloqué un conflit social menaçant de ruiner les saisons touristiques insulaires, en empochant de conséquents subsides publics, et en attirant à elle une clientèle soustraite ainsi illégalement à la concurrence. Car, pendant ce temps, la compagnie rivale Corsica Ferries était loin de faire le plein de ses bateaux qui, eux, assuraient un service de liaison avec la Corse sans la moindre subvention. D’où un manque à gagner considérable.
Valait-il, ce manque à gagner, 88 millions d’euros, c’est-à-dire la totalité du chiffre d’affaires détourné vers la SNCM ? Ce chiffrage est bien sûr contestable car il suppose que ce transport se serait fait sans frais supplémentaires pour la compagnie jaune, et que tous ces passagers au départ de Marseille se seraient rendus au départ de Toulon sans exception. C’est très clairement excessif, les avocats de la Collectivité de Corse l’ont plaidé abondamment, mais sans succès. Le fait est là : ces 88 millions d’euros seront à débourser, et les délais se rapprochent puisque les recours sont épuisés devant la justice française, et qu’il est fort improbable que les tribunaux européens repartent à zéro dans la procédure.
Derrière toutes ces décisions aujourd’hui sanctionnées définitivement, un seul décideur réel, l’État, et un seul exécutant, il est vrai consentant, la Collectivité de Corse. Mais, à l’heure de rendre des comptes, l’Assemblée de Corse s’est retrouvée seule à la barre.
Or les conséquences sont pour elle désastreuses puisque cette somme représente 50% de sa capacité d’emprunt pour un an, et cela suppose donc qu’elle ampute lourdement ses investissements 2022 pour honorer ce paiement, ou alors qu’elle s’endette outre mesure et qu’elle hypothèque son avenir à très long terme. Amputer les investissements est en fait impossible car la Collectivité est le plus souvent engagée dans des programmes à long terme comme les dotations quinquennales accordées aux communes et aux intercommunalités. Il ne lui reste plus qu’à se sur-endetter, à moins que l’État n’admette sa responsabilité et accepte de partager le fardeau financier.
La responsabilité réelle de l’État est telle que le partage devrait aller de soi. Mais ce n’est manifestement son intention à ce jour, compte tenu de la posture de combat, préfet Lelarge en tête, contre l’Exécutif de Corse. Même si, ces dernières semaines, on croit entendre des « signaux faibles » pour un changement d’orientation à la veille des élections de 2022.
En tous les cas, si nouveau dialogue il y a, ces 88 millions d’euros seront certainement parmi les priorités à débattre. •