Par François Alfonsi
Le Parlement européen a voté, lors de sa dernière session avant la coupure de l’été, un texte symboliquement et politiquement très fort à une très courte majorité, 336 voix contre 300. Il s’agit d’un règlement régissant tout un pan du Green Deal, le « Pacte Vert » de la présidente Ursula von der Leyen, pour mettre la restauration de la Nature parmi les priorités des futures politiques européennes.
Ce texte n’en est qu’aux prémices, et son vote in extremis par une courte majorité des députés européens n’est qu’un commencement. Mais il indique une direction capitale pour construire l’espace européen du futur, apte à atténuer les effets du réchauffement climatique, à retrouver une agriculture synonyme de campagnes naturelles, avec des paysages parsemés d’arbres, de mares et de forêts, peuplés d’oiseaux, de moustiques et d’insectes, de fleurs à butiner par les abeilles et de terres offrant des produits de meilleure qualité plus conformes aux attentes des consommateurs.
Dans ce débat sur l’avenir de notre cadre de vie, la perspective est schématiquement la suivante. Dans les immenses plaines remembrées par la destruction des haies et de tous les espaces qui pouvaient abriter une vie sauvage, l’agriculteur a été mis sous la menace de « parasites » dont le nombre explose dès l’instant que les prédateurs naturels ont été raréfiés, et même supprimés, faute d’un habitat pouvant les abriter.
La réponse est alors fournie par l’industrie chimique dont les produits épandus sur les sols cultivés « protègent » les cultures contre les attaques parasitaires. Toujours moins de nature dans les campagnes est alors à l’origine d’un cercle vicieux qui augmente les dosages nécessaires en pesticides, et donc de nouveaux reculs de la nature. L’espèce emblématique sont les insectes qui, il y a un demi-siècle, constellaient les voitures et leurs phares, alors que vous pouvez désormais traverser des immensités agricoles européennes sans ne plus avoir besoin de nettoyer votre véhicule. Tous ces insectes disparus ont provoqué un recul de l’avifaune sans précédent. Et la dépendance aux produits chimiques est devenu un engrenage sans fin, avec en corollaire une pollution attentatoire à la santé publique : air vicié, rivières polluées, eaux souterraines atteintes.
Stopper la surenchère chimique va dans un premier temps hypothéquer les rendements sans lesquels l’agriculteur des temps modernes craint de ne plus avoir la possibilité de rembourser ses investissements, comme par exemple le tracteur géant rendu nécessaire pour son exploitation de centaines d’hectares. Les exploitations de la génération qui l’a précédé comptait trois à cinq fois moins de surface chacune, ménageant des espaces intermédiaires non cultivés qui abritaient une faune sauvage qui autorégulait les espèces, avec, en dernier arbitre, le chasseur pour limiter les populations excédentaires. La concentration des exploitations a décimé les populations rurales, y compris celles de chasseurs, et les dérèglements se multiplient.
C’est à un nouvel équilibre qu’il faut retourner désormais. Fixer cette direction à la future politique agricole commune est fondamental pour construire un avenir plus propice à la vie et à la résilience des campagnes. Les mêmes principes sont fixés pour les espaces maritimes et devront être mis en œuvre par exemple pour les herbiers de posidonie en Méditerranée.
La satisfaction de ce vote gagné de haute lutte – le matin même, les pronostics étaient souvent pessimistes – ne doit cependant pas masquer les tendances lourdes qu’il révèle. Au sein de son groupe d’origine, la droite PPE, la présidente von der Leyen a tout juste recueilli une voix sur dix pour, dans un premier temps, rejeter le vote de censure, puis pour l’adoption finale du texte qu’elle avait elle-même présenté. Le front commun de la droite et de l’extrême droite, appuyé par une partie minoritaire du groupe Renew, a failli être majoritaire. Les vents mauvais qui soufflent sur les politiques nationales des États-membres, en Suède, en Finlande, en Italie, peut-être demain en Espagne, et plus tard en France, laissent craindre que dans le futur Parlement, qui sera élu en 2024, cette alliance « droite-extrême droite » devienne majoritaire.
Tous ceux qui veulent un autre avenir pour leurs enfants doivent en prendre conscience, tant qu’il est encore temps. •