Par François Alfonsi
Comment trouver la sortie ? Telle est la question que se posent tous les analystes depuis que sont tombés les résultats de l’élection législative du 23 juillet 2023 en Espagne. Au point que le scrutin était à peine dépouillé que plusieurs annonçaient déjà de nouvelles élections. Mais, au-delà de la complexité des rapports de forces et des combinaisons envisageables pour gouverner le pays, ce scrutin a donné quelques orientations politiques tout à fait nettes.
Le « format italien » d’un nouveau pouvoir « droite + extrême droite » appuyé sur une forte progression des plus extrémistes était annoncé par les sondages. Il a été sèchement démenti par les électeurs qui ont laissé cette coalition aux portes du pouvoir, bien loin de son triomphe annoncé. Le plus intéressant est même que le « maillon faible » a été justement l’extrême-droite qui était pourtant sortie en position de force du scrutin du 28 mai dernier, s’imposant au pouvoir dans plusieurs régions et grandes villes du pays. À la surprise générale, Vox a reculé en voix, et surtout en sièges (perte de 19 députés sur 52) : c’est la très bonne nouvelle de ce scrutin ! Il permet à la démocratie européenne de respirer un peu, et de contrarier la volonté de bien des dirigeants de la droite d’en faire le schéma politique dominant au sein du futur Parlement européen.
Le Partido Popular est sorti en tête mais c’est sans conviction que son leader a affirmé sa volonté de former un gouvernement. Il avait l’intention de gouverner seul : c’est bien sûr impossible. La coalition avec l’extrême droite est elle aussi insuffisante y compris avec l’appui d’un ou deux élus indépendants. Pour la droite les portes du pouvoir semblent fermées.
La gauche cumule moins d’élus que la droite (153 contre 171 quand la majorité absolue est à 176), mais l’important contingent des « élus des nationalités » – catalans, basques, galicien, 26 sièges au total – lui est bien plus compatible. Pour tous ces élus le Partido Popular, et a fortiori Vox qui est l’émanation directe du franquisme, sont les ennemis de toujours.
Il y a quatre ans, en 2019, Pedro Sanchez avait eu besoin de cet appui pour gouverner. À l’exception de Junts, le parti de Carles Puigdemont, il avait bénéficié de leur appui, direct ou indirect.
En Galice, le BNG, fort de ses très bons résultats aux municipales le mois dernier, espérait gagner des élus. Il garde son élu sortant, en étant victime sans doute du fait que deux des principaux leaders (Alberto Feijoo pour la Partido Popular, Yolanda Diaz pour Sumar) étaient eux-mêmes galiciens.
Au pays Basque, EH-Bildu confirme son succès aux élections locales et devance pour la première fois le PNV, 6 élus contre 5, le total de 11 députés nationalistes basques étant stable.
Aussi, si le nombre des élus nationalistes a beaucoup diminué, c’est principalement dû aux résultats en Catalogne. ERC, même s’il fait encore le plus grand nombre de voix, est le grand perdant, abandonnant six sièges sur treize. Junts avait eu 8 élus, dont une majorité (5 sur 8) avait rejoint la scission du PdCat. Avec 7 élus désormais, le parti du Président Puigdemont sort renforcé, mais il encaisse lui aussi un recul par rapport à 2019. Quant aux autres formations, la CUP et PdCat, elles n’obtiennent plus aucun député. Au total, le nationalisme catalan dispose désormais de 14 députés quand ils étaient 23 dans la précédente mandature.
Le gagnant de l’élection catalane est le Parti Socialiste de Pedro Sanchez, et Sumar, la formation qui a supplanté Podemos, y fait aussi un de ses meilleurs scores. Quand le PSOE perd 5 sièges dans le reste de l’Espagne, il en gagne 7 dans la seule Catalogne, tandis que ce sont les composantes « autonomistes » de Sumar qui résistent le mieux, en Catalogne et aux Baléares*. Manifestement une partie de l’électorat qui avait été gagné par les indépendantistes catalans a cette fois soutenu la gauche pour conjurer l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir. Mais l’essentiel des voix manquantes sont en fait à rechercher dans l’abstention, particulièrement forte en Catalogne, car l’électorat nationaliste a voulu sanctionner les partis en place, particulièrement ERC qui était le plus associé au pouvoir sortant alors que la « table de dialogue » ouverte par Pedro Sanchez est restée désespérément improductive.
Cette situation spécifique en Catalogne va rendre les conditions d’un nouvel accord avec Pedro Sanchez très difficiles. ERC ne peut ignorer le désaveu de nombreux électeurs, et Junts a d’ores et déjà annoncé qu’il poursuivrait dans la même ligne vis-à-vis de la gauche espagnole co-responsable de la politique anti-catalane de l’État espagnol.
Cependant, refaire un scrutin, et donner une seconde chance à l’extrême droite, serait prendre un risque considérable, après l’Italie, après la Finlande, après la Suède, etc. Que cette dynamique européenne de l’extrême-droite ait été cassée en Espagne à moins d’un an des futures élections européennes est évidemment une bonne nouvelle pour l’Europe.
Pedro Sanchez devra donc passer par un « trou de souris » pour espérer rester au pouvoir. Pour trouver le passage, il devra probablement ouvrir un nouveau dialogue avec le mouvement catalan, en profitant de l’affaiblissement de Vox sur la scène politique espagnole. Paradoxalement, le mouvement catalan pourrait alors se trouver en meilleure situation bien qu’il ait perdu les élections. •