De plus en plus, l’élection présidentielle française apparaît comme une élection extérieure à la vie politique insulaire, en décalage total. Avant, cette élection était centrale : chaque leader politique avait à cœur d’être bien en cour avec celui qui était susceptible de la gagner, et le graal était d’obtenir un poste ministériel de secrétaire d’État ou de ministre. Elle est restée un enjeu politique majeur en 1981 et le mouvement nationaliste lui-même s’était engagé pour l’élection de François Mitterrand. Jusqu’à l’échec de Lionel Jospin en 2002, la Corse lui gardait un certain intérêt. Depuis, c’est devenu une sorte de défouloir.
Le premier indicateur bien sûr est la participation, 12 % plus faible en Corse qu’au plan national. Elle a été en France le double de celle des régionales de l’an dernier. Elle est ici sensiblement la même, autour de 60 %. Même si nous sommes sous influence du volume médiatique qu’une telle élection génère, beaucoup ne se sentent pas vraiment concernés.
Deuxième indicateur, le vote lui-même qui, depuis plusieurs fois, donne une nette victoire à Jean Marie puis Marine Le Pen. Ces feux de paille électoraux ne nous impressionnent plus : il n’en reste rien dans les scrutins qui suivent et qui peut croire que François Filoni, le soutien local de Marine Le Pen, soit une personnalité vraiment influente en Corse ? Le score flatteur de Jean Lassalle ne portera pas davantage de suites politiques notables. Ce vote protestataire a sans doute trouvé un écho amplifié par la colère exprimée lors des manifestations qui dénonçaient la mort d’Yvan Colonna, malgré les mises en garde des dirigeants politiques nationalistes.
La part d’irrationnel dans la science politique est une donnée qu’il faut admettre, le contraire du vote Le Pen étant le vote Mélenchon qui a mobilisé une grande part d’un électorat aspirant à un changement alors qu’il a été, et qu’il reste encore, notamment sur la question des langues régionales, un chantre du jacobinisme. La candidature de Yannick Jadot, malgré un parcours sans faute au plan des idées, particulièrement sur la question corse, est pour sa part restée en cale sèche, balayée par l’air du temps du vote utile.
En Corse comme dans le reste de la France, la détestation d’Emmanuel Macron est une donnée politique forte. Et c’est dans l’île qu’il fait un de ses plus mauvais scores, car c’est ici sans doute qu’il a donné le plus de signaux négatifs quant aux politiques voulues par les Corses. Parions qu’au second tour la Corse ne sera pas sa terre d’élection !
Quant à la politique parisienne, elle semble plus confuse que jamais.
Presque unanimes, les sondages exprimaient un an avant ce scrutin que les français ne souhaitaient pas assister à un « match retour » entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron. C’est pourtant bien à nouveau ce duel qui sera à l’affiche du second tour dans deux semaines.
On aura la même campagne qu’il y a cinq ans, les mêmes candidats, le même débat solennel, et le vote final qui semble cette fois plus incertain.
Il y a cinq ans, Marine Le Pen avait été balayée par Macron le prétendant. Elle se retrouve cette fois face à Macron le sortant, et son bilan, passé au karcher par les Gilets Jaunes, et par tant d’autres protestations populaires, contre les vaccinations forcées, contre la hausse des prix, etc. Les mécontentements sont nombreux, et, ayant su les rassembler, la candidate d’extrême-droite est mieux placée cette fois.
Avec tous les autres dirigeants nationalistes, tous partis confondus, on ne peut que tirer la sonnette d’alarme. La colère protestataire conduit beaucoup trop d’électeurs à voter Le Pen. Son élection aurait des conséquences en chaîne incalculables, en Europe, en France et en Corse car l’extrême-droite n’a jamais été que l’incarnation politique du nationalisme français le plus intransigeant, ne reculant devant rien pour écraser ceux qui s’opposent à leur conception de la France. Aux États-Unis, le rejet de Hilary Clinton, candidate des élites, avait conduit à l’élection de Donald Trump. Prenons garde à ne pas en arriver là. •