Le Peuple Corse peut-il survivre ?

Il convient de remonter à 250 ans après Ponte Novu pour comprendre le cadre général de la politique de la France en Corse.

Ponte Novu, 1769. La Révolution française, 1789.

La mort de Napoléon, 1815.

En 1818 est instaurée la loi douanière pour 95 longues années.

Elle sera levée en 1912-1913, à la veille de la Guerre de 1914.

Cette loi coloniale aura, en un siècle, étouffé tout développement économique. La saignée de la «Grande Guerre » aura, elle, bridée tout développement démographique. Et les deux combinées auront grand ouvert les portes de l’exil.

En 1962, quand je me suis installé à Bastia, il y avait en tout et pour tout 160.000 habitants sur l’île. La République avait vidé ce réservoir d’hommes pour ces guerres et l’encadrement de son vaste Empire colonial. Les Corses étaient entièrement des autocolonisés.

On les avaient convaincus que leur île n’était qu’un caillou, beau certes, mais complètement stérile. Ils acceptaient le prix de l’exil et étaient reconnaissants et fiers d’appartenir à la grande nation civilisatrice des droits de l’homme, qui apportait le « Progrès » aux Peuples arriérés.

 

Avec la perte des colonies (1960 Accords de Genève de Mendes France, 1962 ceux d’Evian de De Gaulle), le reflux précipité et le recentrage sur l’Europe en perspective se font avec quelques anicroches qui amènent à réfléchir, comme par exemple le transfert envisagé de la base des essais atomiques du Hoggar à l’Argentella puis la directive de Paris de distribuer 90% des lots Somivac à des rapatriés d’Algérie. Michel Rocard l’a dit à plusieurs reprises. On pouvait encore peut-être croire à des erreurs dues à la pression dramatique des événements. C’était bien pire. La suite l’a démontrée.

En 1970/1971, l’Hudson Institut remet à la Datar un rapport de prospective pour le développement touristique de l’île qu’elle lui avait commandité et qu’elle veut tenir secret. Parmi les deux ou trois options proposées, elle choisit la pire : plus de 200.000 lits à construire en dix ans et la venue de 70.000 employés qualifiés.

Elle avait lancé une vaste opération médiatique sans rien préciser, pour faire croire que la volonté du Gouvernement de jouer le tourisme moteur du développement va faire de l’île un Eldorado pour tous les Corses.

L’ARC, en dévoilant ce rapport, coupe l’herbe sous les pieds de la Datar qui n’en parle plus. Elle semble l’avoir abandonné. En réalité, cette politique touristique continue en douce, sans rien dire.

Ses conséquences se mesurent en chiffre.

 

La consommation des insulaires est faite à plus de 97 % par des produits importés.

L’enveloppe de Continuité Territoriales instituée pour diminuer le coût des transports et « alléger le caddy de la ménagère » d’abord gérée par l’État puis confiée à la Région facilite en fait les importations massives que les compagnies de transports se disputent. Ses effets vont dans le même sens que la loi douanière.

« La vie est plus chère» en Corse, qui reste un marché captif.

Elle a 60.000 précaires et autant, sinon plus, de semi-précaires. En une quarantaine d’années, sa population a doublé par des apports extérieurs et non par la natalité des autochtones vieillissant.

Elle voit un flux de 5.000 allogènes chaque année. Il y a là un véritable transfert de population comme dans le projet de l’Hudson Institut que la Datar avait choisi. C’est le même plan mais poursuivi différemment. Le mécanisme de l’appropriation des terres passe désormais par le biais fiscal d’une remise de 30% des frais pour « les constructions à valeurs locatives ». L’effet est rapide et de taille : en 5 à 6 ans, la Corse est devenue la cham pionne de France des constructions de résidences secondaires.

Ce qui entraîne une pression pour la vente des terres indivises par les Arrêtés Miot, des fraudes, des spéculations immobilières et des comportements plus ou moins mafieux.

 

Le centre rural est désertifié, ses listes électorales pléthoriques, ses espaces non cultivés, livrés au maquis, aux vaches primées par la PAC, aux porcs libres qui attendent que les touristes les photographient et leur jettent quelques restes d’aliments. La revitalisation de l’intérieur reste un discours convenu et constant de tous les hommes politiques insulaires non repris par l’administration de l’État.

Le rural expirant, la source principale de la culture historique se tarissant, le Peuple Corse en proie à un développement touristique qu’il ne maîtrise pas et qui se fait par la force des choses à son détriment, est condamné à disparition.

Peut-il survivre en évoluant, en conservant un lien fort avec la terre insulaire si belle (Kalliste en grec, la plus belle) ?

En ayant le désir de la transmettre préservée à ses enfants dans un développement «durable » ? C’est possible, si volonté politique il y a, dans ce qu’il reste de Peuple Corse. À condition que les jeux électoralistes des natios majoritaires, de listes concurrentes pour des institutions aux pouvoirs insuffisants pour le sauver, cessent et qu’ils mobilisent, qu’ils entraînent toujours plus de Corses déterminés à réclamer leur reconnaissance de Peuple et de ses droits et l’autonomie interne pour assurer son avenir sur sa terre.

 

Max Simeoni.