Territoriales

Majorité absolue mais pouvoir très relatif

par Max Simeoni
Quelques réflexions sur les résultats de ce 2e tour dans l’attente de connaître la composition de la nouvelle assemblée jeudi…

 

J’avais plus ou moins écrit avant l’élection de dimanche sous forme d’interrogation que Gilles Simeoni pouvait avoir la majorité à lui tout seul mais que, étant peu probable, il serait amené à des accords d’alliances. Il l’a cette majorité absolue tout seul. Il a les mains assez libres pour dessiner l’organigramme de la CdC : Exécutif, présidence de l’Assemblée, commissions, offices…

Les arguments publics des ex-coalisés pour faire pression allaient de « l’hégémonie » à la « diversité nécessaire au débat démocratique… et à l’efficacité en ratissant plus large »... Gilles a rétorqué que les conditions à remplir pour envisager des alliances avaient été discutées en vain bien en amont et que ce n’était pas en 48h. avant le dépôt des listes qu’on pouvait traiter ce problème de fond (valeurs, éthique certes, Charte, postes de responsabilité, ouvertures, compétences…). Ce qui impliquait qu’il fallait d’abord se compter, des primaires en quelque sorte sans le dire. Le compte est fait. Majorité absolue pour Gilles. Il avait d’ailleurs demandé aux électeurs de le pousser le plus haut possible pour avoir assez de marge de manœuvre. Il a été entendu.

« Per a Corsica » selon les coalisés, était à reconduire pour le « rassemblement des nationalistes » ! Pour Gilles Simeoni, « Fà populu Inseme » ne doit rejeter aucune bonne volonté au-delà des nationalistes et il est implicite dès lors de rechercher à convaincre, de susciter toujours plus d’adhésion à cette démarche. Priorité à l’ouverture.

Mon caractère me porte à penser que ce qui est favorable dans l’instant n’est jamais acquis définitivement et qu’il convient toujours de travailler à consolider et d’envisager les obstacles qu’on pourrait rencontrer pour continuer la longue marche qu’il reste à faire pour sauver le Peuple Corse en voie d’extinction. Cela a été mon comportement depuis plus de 50 ans.

 

Quelques scénarios sont à court terme probables, envisageables. Mais aucun n’est certain.

Rappelons-nous la dernière phase rapide de l’ascension électorale de Gilles Simeoni quand il a il a gagné la mairie de Bastia et sur la lancée la CdC à la tête de la coalition Corsica LÌbera-PNC-Inseme. Qui aurait pu y penser 10 ans avant ? Il a été l’homme de la situation par son charisme, par sa force tranquille. Mais on a oublié qu’il a bénéficié de circonstances exceptionnelles, l’irruption de Macron à la Présidence de la République, jeune, peu connu arborant un rictus de girondin. Les conditions paraissaient remplies pour être entendu au sommet de l’État républicain. Cela n’enlève rien à son mérite.

 

Il a fallu déchanter au cérémonial de l’anniversaire de la mort du préfet Erignac, le fringant Président s’est fait accompagner de Chevènement pour corriger et humilier le président « local qui ne fait pas la loi ». La période de grâce a été écourtée par la jaunisse des ronds-points de la France entière.

L’illusion dans l’île a été de penser que Gilles avait laminé les clans alors qu’ils étaient en chute libre suite à l’effondrement du système électoral de la Ve République voulu par De Gaulle voulant que les Partis se regroupent pour assurer au Parlement une majorité au Président élu directement par le Peuple au suffrage universel. Les différentes cohabitations faites ont été le signe d’un retour au système des partis précédant leur effondrement qui a permis l’arrivée de Macron lui aussi homme des circonstances favorables.

La chronologie a été trompeuse.

Les nationalistes insulaires affichent tous plus ou moins leurs fibres sociales. Comment ne pas assumer cette solidarité avec les plus précaires que sont essentiellement les indigènes colonisés ? Ils sont la partie qui vieillit le plus. La population de l’Île est en croissance rapide. Le réservoir d’hommes a été vidé dans l’intérêt de la grande France (Empire coloniale et guerres), il se remplit par des apports extérieurs. Le développement touristique n’est pas maîtrisable orientable dans l’intérêt des autochtones. Il profite surtout aux intérêts des producteurs externes et de leurs financiers même s’il fait vivre des Corses, quelques-uns s’enrichissent, les autres peuvent survivre sans s’exiler. Le pourcentage de plus de 20 % du PIB dû au tourisme est énorme. Aucune région à vocation touristique n’atteindra jamais un tel record. Il est le signe éclatant de l’insigne faiblesse du reste de l’économie insulaire productive et de notre entière dépendance. La vie y est plus chère. L’enveloppe de Continuité Territoriale (DSP) est disputée par les Compagnies de transport lesquelles importent les produits extérieurs des plus de 97 % des consommateurs de l’île (aliments, vêtements et tout ce dont on a besoin).

 

Les lecteurs d’ARRITTI connaissent bien les arguments que je ressasse chaque semaine. Si certains d’entre eux pensent encore qu’on peut sauver le Peuple Corse, sa langue, son patrimoine foncier contre la spéculation, la dépossession et le système mafieux qui en découle c’est qu’ils ne tirent pas la leçon que des nationalistes peuvent en tirer, ou qu’ils doutent ou se résignent. La leçon ? L’urgence est de faire reconnaître par la loi l’existence du Peuple Corse et d’obtenir l’Autonomie pour qu’il ait les moyens de faire ses Lois afin de survivre et de mieux maîtriser son destin dans un monde en devenir incertain.

Aussi il devient étrange pour ne pas dire grotesque que des nationalistes se chamaillent pour des postes dans une Institution qui remplacent la verroterie colorée que les premiers navigateurs donnaient aux indigènes pour les amadouer et consentent allègrement à leur céder leur or dont ils ne savaient quoi faire. Monnaie de singes.

 

Gilles a théoriquement les mains plus libres. Le Peuple Corse déboussolé lui fait confiance. Pourra-t-il gérer cette Institution dont les moyens sont limités en regard du sauvetage ? Pourra-t-il éviter l’usure qui en résulte et la déception qui l’accompagne ? Et puis un homme seul quelles que soient ses qualités reste vulnérable et il n’offre aucune des garanties indispensables à la survie d’un Peuple menacé ou pas. Tant que Gilles est opérationnel il assurera la gestion de cet outil et en limitera quelques une de ses insuffisances. Son ouverture à tous les Corses et amis de la Corse est à faire mais il lui manque une assurance, celle que peut donner un Parti transversal inséré au sein du Peuple. Un levier amplificateur irremplaçable pour l’efficacité, pour ralentir et stopper l’agression organisée coloniale qui se poursuit, le temps étant compté pour survivre. Un Parti ouvert qui se souci plus de convaincre que de rechercher des électeurs. Un Parti qui secrète le fond politique et contrôle son application. Démocratique et transparent.

Le moyen de la violence clandestine comme « lieu de synthèse » a été essayé. Un affrontement et désastre comme résultat.

Le dilemme est simple. Ou ce Parti ouvert ou des factions coalisées en déséquilibre avec des chefs qui font tout pour être élus avec leurs entourages.

Gilles a réussi un coup. Voyons ce qu’il peut en faire. •