Collectivité de Corse

Quels obstacles pour la majorité ?

Gilles Simeoni et ses colistiers lors de son dernier meeting de campagne.
Gilles Simeoni et ses colistiers lors de son dernier meeting de campagne.
par Max Simeoni
Du jamais vu. 59 % de votants, à peine 43 % d’abstentions, une participation forte à l’inverse de l’Hexagone. Gilles Simeoni faisant cavalier seul sous l’étendard électoral « Fà Populu Inseme », 40,64 % des votants, et si on ajoute les 15,07 % de Jean Christophe Angelini « Avanzemu Pè a Corsica » et les 12,66 % de Paul-Félix Benedetti « Core in Fronte » ce sont 68 % de votes nationalistes. La Gauche absente, les DVD derrière Laurent Marcangeli « Un Soffiu Novu » plafonne à 32 % des votants !

 

Gilles Simeoni a réussi son pari, il a les mains libres pour entamer les sept années d’Exécutif épaulé de Nanette Maupertuis, première présidente femme de l’Assemblée dont les convictions sereines et fortes ont été constantes. Il paraît bien loin le temps où les clans nous lançaient « vous n’avez aucune légitimité démocratique… présentez-vous aux élections et on en reparlera… ». Ils étaient donc, eux qui faussaient les listes électorales, qui bourraient les urnes de votes par correspondances, qui faisaient pression ou du chantage sur la partie faible de leurs obligés, les gardiens de la démocratie en Corse… Ils servaient, les malheureux, d’alibi au pouvoir du centralisme parisien. À mes débuts, quand l’occasion s’y prêtait devant quelque ministre, je dénonçais ces fraudes et l’absence de poursuite administrative ou judiciaire pour les faire cesser, j’entendais me dire « oh pardon ce n’est pas nous qui les élisons ! » Sous entendu « l’État est neutre dans les élections… c’est aux citoyens de les organiser et si besoin d’aller en justice… »

 

Oui, il a fallu aller aux élections, contrôlées par le système des clans, pour avoir une tribune pour ne pas être marginalisés et exercer notre présence dans tous les secteurs de la vie du Peuple Corse. Nos scores étaient insignifiants mais notre pression sur le système ne baissait jamais. Nous évitions constamment tout risque d’affrontements entre Corses sans jamais baisser la garde. Quand les circonstances étaient propices et que l’enjeu en valait le risque nous l’avons pris, quand Edmond par exemple s’oppose avec des amis décidés au vote par correspondance à Calvi du maire Orabona entouré de quelques malfrats. Une dynastie clanique a été mise en échec dans leur fief. Marcotorchino a gagné, nous n’avons eu aucun élu, mais notre participation, nous qui n’avions jamais triché, de faire pièces au clan et d’affirmer concrètement notre détermination à rétablir le suffrage universel bafoué avec la complicité de l’État.

Nous avons pu faire prendre aux chefs de clans une déclaration anti fraudes, certes du bout des lèvres vite oubliée. Edmond Simeoni avait dit au Président Mitterand en 1983 que s’il nous donnait à choisir entre l’autonomie et la démocratie nous prendrions la démocratie.

L’État se rendrait neutre dans les élections de proximité ? Personne ne peut le croire, en Corse tout au moins. Les clans lui ont servi d’écran. Les barbouzes dénoncés à plusieurs reprises au préfets faisant la sourde oreille et jusqu’à Chirac par Edmond en présence de Pasqua, Chirac semblant tomber des nues, est-ce crédible ?

 

Gilles certes a les mains libres sur une ligne de départ, mais aura-t-il assez de ressort et un élan conservé pour franchir tous les obstacles de la course très longue distance ?

Pour assurer la survie du Peuple Corse, Tamanta Strada ne fait que commencer ! La suppression des conseils départementaux (ex conseils généraux) ne sert plus de relais au pouvoir jacobin de la République, ni d’alibi facile. Pour tenter d’endiguer la poussée nationaliste, sans opposition locale constituée, il est contraint d’agir à découvert et redonner l’espoir et du souffle aux survivants non ou anti nationalistes « locaux ». Il ne peut rester les bras croisés ni même faire mine de discuter avec les élus nationalistes, ce serait leur reconnaître un pouvoir légitime alors que « ne faisant pas la Loi » ils doivent l’appliquer.

Il est clair que l’autonomie est pour cette République des jacobins une grotesque hérésie qui devient dangereuse car elle pourrait mettre en péril le dogme de l’égalitarisme qui nie la diversité en son sein de Peuples, de langues, de cultures, d’histoires au nom des principes universels qu’elle prétend détenir. Elle est sous cet angle antidémocratique, on peut dire totalitaire. En dehors du folklore aucune reconnaissance, aucun droit. Sa haute administration a été coulée dans un moule unique qui récite chaque jour le catéchisme jacobin.

Certains Corses hésitent ou pensent que les natios majoritaires « absolus » peuvent résoudre des problèmes longtemps accumulés comme les déchets. Mais tout se tient. Ne faut-il pas maîtriser le tout tourisme, qui alimente le volume de ces déchets en été et avec l’étalement du tourisme à chaque week-end en résidences secondaires ? Est-ce juste que les citoyens Corses qui trient paient d’avantage de taxes ? Ne faudrait-il mettre en application le principe « pollueurs payeurs » Corses ou touristes ? Le pouvoir local avec l’État, ensemble oui sans doute.

 

Oui, Gilles a les mains plus libres mais il ne fait pas la Loi. Il gère sans pouvoir gouverner. Il risque l’usure à court terme.

La priorité est de faire des lois, donc l’obtention de l’autonomie. L’autonomie pour sauver un Peuple donc sa reconnaissance par la loi. Les élections pour gérer ne font pas l’affaire. Non, le combat pour des institutions qui peuvent légiférer n’est pas une phobie. C’est une urgence historique. Certes, la majorité de Gilles peut soulager mais pas sauver un Peuple colonisé qui n’a été qu’un réservoir d’hommes pour les guerres et l’Empire colonial. Vidé et non développé, en 1960 à peine 160.000 habitants. En 1962, fin de l’Empire aux Accords d’Evian avec l’indépendance de l’Algérie et repli de l’État sur l’Europe qui débute sous l’angle économique (CEA, Énergie…), l’Île vidée est vouée au tout tourisme pour faire rentrer des devises. Détournement des PAR de 1958 pour accueillir les 18.000 Pieds Noirs en exode mais au détriment des agriculteurs locaux. La dépossession des terres agricoles ou des littoraux et piedmonts bat son plein. La défense de la terre commence pour les régionalistes-autonomistes avec après Aléria une radicalisation FLNC qui tente de les déborder.

 

Gérer ne suffit pas. Quels obstacles pour la majorité de Gilles ? Quelques-uns sont prévisibles. L’impatience de beaucoup, qui confondent majorité de gestion et pouvoir réel. Seul contre tous Gilles croit-il amener à composition le pouvoir central jacobin ? A-t-il des assurances que nous ignorons ? Croit-il que l’évolution des États européens va lui être favorable ? Elle aura lieu mais cela peut demander quelques décades et restera-il assez de Corses motivés pour accepter le sacrifice d’attendre pour sauver le Peuple Corse, d’attendre et de lutter ?

Si on ne sauve pas un Peuple par procuration, il faut donc qu’il soit mobilisé. J’ai toujours pensé que même le ou les leaders les meilleurs ne peuvent y parvenir. Ce Peuple doit trouver son salut en lui-même et choisira le ou les leaders qui conviennent.

Pour moi, un mouvement organisé et conscient de l’enjeu, ouvert au sein du Peuple n’a pas d’alternative. J’imaginais, dans le contexte d’élections pour une majorité de natios coalisés, devait être différé pour mettre sur rails un tel mouvement. Peut-être que Gilles, les mains plus libres, devrait le préparer et le lancer pour l’ouvrir ensuite à d’autres natios ou d’autres progressistes ?

C’est à envisager, non ? •