Une Terre bénie des dieux ?

Nous y voilà. L’île se remplit de touristes pendant trente a quarante jours pour gouter aux plaisirs de la civilisation des loisirs.

Parmi les autochtones qui accueillent, nombre d’entre eux risquent plus « a febraccia » que des coups de soleil… Les Municipales pour commencer, avec pustules sur toute la surface insulaire a traiter une a une. Il n’y aura guere de convalescence mais rechute aux Territoriales l’hiver suivant. Les élus en place iront de leurs bilans, les opposants ne souligneront que les insuffisances… comme d’habitude.

 

La période 2018-2019 est une période charnière qui marquera l’histoire de la Corse, de la France, de l’Europe aussi, voire de la planète.

À Paris, on a vu surgir un Président de l’effondrement de la Ve République et en Corse, une coalition de natios avec une «majorité absolue » sans opposants de clans. C’est un face à face où le Président new look ne veut pas avoir à faire à de tels élus locaux. Des problèmes d’importance (affaire Benalla, gilets jaunes, retraités, regroupements en grandes régions…) secouent son trône. Il doit les contenir et éviter qu’ils ne convergent pas trop.

Pour l’île, il cède la place à son Premier Ministre qui apporte de l’eau au moulin de l’indépendance énergétique en 2050 mais qui, sans le crier, fait comprendre « qu’il n’y a pas de problème corse, mais des problèmes en Corse » à régler dans le cadre général et d’une façon pragmatique, entendre par là que l’autonomie, la coofficialité ne sont pas à l’ordre du jour républicain.

La «majorité absolue» des natios est face au mur des jacobins qui refusent de penser qu’il y a un Peuple Corse maltraité, mais un simple retard de développement du à l’insularité. Quant à la colonisation de la Corse, une faribole agaçante de mauvais roman feuilleton ! Comment la République pourrait-elle coloniser une partie d’elle-même, dont la Constitution dit qu’elle est un seul territoire, une seule langue, une seule nation ?

 

Les faits sont pourtant éloquents.

Un réservoir d’hommes vidé pour les guerres et l’Empire – il ne reste que 160.000 habitants en 1962 – et non développé, la République tirant sa richesse des colonies. Aux Accords d’Evian à cette date précisément, le FLNA ne veut plus d’essais atomiques dans le sud du Sahara, le gouvernement de De Gaulle, veut les continuer à l’Argentella… l’île reçoit l’exode de 18.000 Pieds Noirs auxquels on attribue 90 % des lots Somivac selon ce qu’a affirmé Michel Rocard. Le Plan d’Action Régionale de 1958 (Guy Mollet) avait prévu un plan sylvo-pastoral qui n’a jamais vu le jour et la Setco pour développer le tourisme avec seulement quatre hôtels réalisés sur les cent annoncés. Mais en réalité, le choix d’un tourisme massif soigneusement caché, voulu secret par la Datar directement lié au Premier Ministre, était une des possibilités que le rapport de l’Hudson Institut avançait sans la recommander (250.000 lits à créer en 10 ans avec 70.000 nouveaux venus techniciens du tourisme), bref submerger le peu d’autochtones pour éviter des tensions d’un tel développement orchestré par l’État. Ce choix est sans discussion possible un projet d’assassinat d’un Peuple maltraité, le coup de grâce, par sa tutelle pour disposer de sa Terre et la rentabiliser à son seul profit. L’ARC s’est procuré ce rapport et l’a divulgué. Pris en flagrant délit, la République a fait mine de renoncer. En fait, elle poursuit en douce le même objectif de spoliation coloniale.

 

Les résultats en témoignent.

Les résidences secondaires poussent comme des plantes tropicales, l’île est la première pour ce feu d’artifice résidentiel.

Quand le bâtiment va, tout va ?

Oui, dopé par une diminution de 30 % des charges pour les constructions à valeur locative, oui pour la masse des assez riches et peu de Corses. La Balagne et le Sud de l’île l’attestent et tout ce qui pourra se vendre le sera… Spéculations immobilières, blanchiments, trafics financiers en tous genres.

Avec ces processus coloniaux, viendra le tour du rural et de la châtaigneraie, plus vite si le réchauffement climatique augmente.

Le capital nature défiguré, il nous restera de la poule aux oeufs d’or que des tas de coquilles, nos 60.000 pauvres et nos précaires en croissance…

Les retombées du tourisme laisseront des miettes en regard des flux financiers drainés à l’extérieur de l’île qui importe déjà plus de 97% de ce qu’elle consomme ce qui ne peut qu’augmenter ou au mieux se stabiliser si on ne sort pas du système de dépendance coloniale.

Les natios doivent le considérer sans se laisser distraire pour le faire cesser et sans s’illusionner sur leur « pouvoir » de majorité absolue. Cette sortie est une urgence historique. Le pronostic de survie du Peuple Corse est sombre. Notre Peuple épuisé a besoin de toutes les ressources qui lui restent pour ne pas s’éteindre.

 

Nous, Corses et « fiers de l’être », pouvons-nous nous amuser à jouer de pouvoirs insuffisants, majorité absolue ou relative, à nous enliser dans des jeux de coalitions électoralistes pour drogués ?

L’urgence historique nécessite une mobilisation générale et non pas un jeu de factions et d’égos démesurés pour arracher au jacobinisme les moyens de la survie (l’autonomie entière, la coofficialité, le Peuple légalement reconnu). C’est d’une guerre dont il s’agit, citoyenne et démocratique sans répit. Impossible de savoir le temps qu’il faudra pour s’en sortir. Mais il nous est plus mesuré que pour le système. Et un des deux doit céder et disparaître.

Un supplément de temps dépend de la qualité et de l’intensité de nos efforts. Mais la loi du tout ou rien ne s’imposera : le Peuple Corse gagne et survit ou il perd et disparaît. Au fond sommes-nous capables d’être simplement des Corses fiers de l’être, sûrs de combattre l’injustice avec force et sans haine pour l’avenir de nos enfants sur notre terre bénie des dieux ?

 

Max Simeoni.