Arritti ouvre ici un dossier à suivre pour comprendre les enjeux du Brexit. La question de l’Irlande du Nord, présentée ici, les incertitudes britanniques, les espérances écossaises… autant d’enjeux qui pèseront sur l’avenir de l’Europe.
De Theresa May à Boris Johnson : la question de l’Irlande du Nord
Theresa May et Boris Johnson sont du parti conservateur et ils ont porté l’un et l’autre la volonté exprimée par le referendum du 23 juin 2016 pour arriver à un Brexit, soit une séparation de la Grande Bretagne du reste de l’Union Européenne.
L’Union européenne est fondée sur la liberté totale de circulation des personnes, des capitaux, des services et des marchandises dès lors qu’ils sont « estampillés » par l’UE, c’est à dire originaires d’un des pays membres, ou bien entré légalement sur le sol européen à travers l’agrément du pays membre où cette entrée, que ce soit pour un bien ou une personne, est enregistrée.
Pour les capitaux et les services, il n’y pas de matérialité physique, tout passe par les ordinateurs et les réseaux internet où s’exercent les contrôles du respect des accords qui régulent ces activités.
Pour les personnes, au moment du referendum, le Brexit a enflammé les esprits britanniques sur la question de l’immigration.
Elle est largement retombée d’elle-même, puisque la Grande Bretagne s’est toujours tenue en dehors de l’espace de Schengen et avait donc maintenu les contrôles d’identité aux frontières. D’ailleurs, la situation à Calais et dans le nord de la France est très claire : ce n’est que par fraude que les migrants rentrent sur le sol britannique comme le récent drame de 39 personnes retrouvées mortes dans une remorque de camion l’a dramatiquement illustré.
Reste donc la circulation des marchandises, régie par l’Union douanière. C’est le point délicat car sans contrôle physique, rien n’est possible. En effet, les douanes ne font pas que recouvrer des droits, elles s’assurent aussi que les biens importés remplissent les obligations de sureté alimentaire (question des OGM, interdictions de certains adjuvants déclarés dangereux pour la santé publique, etc.), de conformité à des normes de sécurité (par exemple jouets exempts de risques pour les enfants), de lutte contre la contrefaçon, etc. Le contrôle physique des importations nécessitera donc une « frontière dure», ce qui est sans conséquence en général pour les populations du fait de la situation insulaire du Royaume Uni: il n’existe pas de va-et-vient quotidien des populations locales via une frontière maritime.
La seule frontière terrestre qui existera entre le Royaume Uni et l’Union Européenne est celle qui divise l’Irlande en deux entre nord et sud. Cette frontière contrôlera les véhicules, et donc les personnes qui les conduisent, chauffeurs de poids lourds comme simples automobilistes. Et les populations locales irlandaises qui font le va-et-vient quotidien seront inlassablement contrôlées, ce qui est non seulement contraire à leurs intérêts, mais aussi à la lettre du traité de paix nord-irlandais qui a été signé par l’Irlande du Nord, la République d’Irlande, la Grande Bretagne et l’Union Européenne. L’Europe en a fait une « ligne rouge » de la négociation, et le gouvernement anglais a dû l’admettre pour respecter les engagements qui avaient été pris lors des accords du vendredi saint.
Theresa May a proposé que la question se règle en réalisant un Brexit qui, provisoirement, maintienne l’Union douanière entre toute la Grande Bretagne et l’Union Européenne «jusqu’à ce qu’une solution satisfaisante soit trouvée ». Boris Johnson a combattu ce deal qui pouvait repousser le Brexit économique à la Saint Glinglin… et il a obtenu la démission de Theresa May.
Sa contre-proposition a consisté à proposer que l’Union douanière ne soit maintenue que dans la seule Irlande du Nord, et que la frontière où s’exercera le contrôle des marchandises soit renvoyée en mer, entre Irlande du Nord et continent britannique.
Cette proposition pose deux questions.
La première est soulevée par la population pro-Royaume Uni d’Ulster, représentée par le Democratic Union Party, qui estime que son lien statutaire serait brisé avec Londres et qu’elle serait promise à une intégration à plus ou moins long terme dans l’Irlande. Dans le contexte d’une Irlande du Nord toujours à vif, la question est sensible et le DUP a rompu son accord avec les conservateurs, affaiblissant encore de dix sièges la «majorité» déjà très relative de Boris Johnson qui perd régulièrement lors des votes à la Chambre des Communes.
La seconde est soulevée au sein même de l’Union Européenne qui s’inquiète de l’application future de ce « double statut » de l’Irlande du Nord, à la fois dans l’Union douanière européenne et sous souveraineté d’un Royaume Uni situé en dehors. Une partie des Brexiters les plus ardents ont formulé leur ambition, soutenue en sous-main par Donald Trump : que la Grande Bretagne surmonte les difficultés économiques de la perte du marché unique avec l’Europe en devenant une « zone franche économique » aux portes de l’Europe. Ceux-là pourraient utiliser le flou de la frontière avec l’Irlande du Nord, dont le deal prévoit que les autorités britanniques la contrôleront en étant supervisés par l’Europe, pour « tricher » sur les marchandises qui une fois arrivées à Belfast, pourront passer sans contrôle en Irlande, et donc en Union européenne. En acceptant le « deal de Boris Johnson », l’Europe a pris un risque, estimant que les garanties sur ce point pourraient être négociées plus tard, lors des accords futurs entre Grande Bretagne et Europe.
Mais ce sera un nouveau bras de fer.
Et encore faut-il que Boris Johnson arrive au bout de son parcours en Grande- Bretagne. (à suivre)
François Alfonsi.