Les îles Wadden au nord des Pays Bas, de l’Allemagne et le long de la côte ouest du Danemark, forment un chapelet de territoires insulaires qui délimitent un espace maritime protégé, la mer de Wadden, entre le grand large de la mer du Nord et le littoral du continent. Ameland/It Amelân, Vlieland/Flylân, Schiermonnikoog/Schiermûntseach et Terschelling/Schylgersk sont quatre de ces îles rattachées à la Frise suivant la culture frisonne ancestrale de leurs populations. Il faut donc traverser cette « mer intérieure » pour les atteindre. Mais leur proximité avec les riches zones peuplées de Hollande et d’Allemagne en ont fait des destinations touristiques recherchées. Au total 23.000 habitants, dans quatre îles distinctes, séparées par des bras de mer à travers lesquels de nombreux pêcheurs gagnent le large vers la poissonneuse mer du Nord.
La maire de Terschelling/Schylgersk où se tenait le Forum des îles organisé par l’ALE, nous accueille par un discours éloquent, qui fait écho à toutes les situations insulaires que nous connaissons : « Il faut garder nos îles vivables, des endroits où l’on peut vivre, travailler et dormir. Les plus riches viennent du continent pour s’y installer, y acquérir des résidences secondaires, les prix du foncier sont devenus trop élevés. Nous sommes inquiets : où vont pouvoir vivre les habitants ? Comment ferons-nous vivre les associations musicales, sportives ou culturelles ? Comment logerons-nous les pompiers, les sauveteurs en mer et tous ceux qui conditionnent la vie quotidienne dans nos territoires ? »
Le colloque dont elle assure l’accueil est organisé par le Fryske Nasjonale Partij, le FNP, parti frison membre de l’ALE.
Sijbe Kroll est membre de ce parti et il est un des cinq élus de l’Exécutif régional de la Frise, région du Nord Est des Pays Bas où l’on parle le frison et non le « dutch » comme à Amsterdam. Il est responsable de la politique du logement, et il abonde dans le même sens. Il a bataillé à Amsterdam, avec le sénateur du FNP, pour que la nouvelle loi sur le logement fasse une exception pour les îles frisonnes en stipulant que si vous y achetez une maison, vous devrez l’occuper vous-même. Façon habile de limiter la spéculation Airbnb qui sévit là-bas comme chez nous.
Sjibe Krol veut ainsi combattre la « gentrification » qui fait que les habitants traditionnels sont rejetés par ceux venus d’ailleurs, et il est aux côtés des maires (chaque île est une commune distincte) qui tous cherchent à préserver une politique de l’habitat favorable aux résidents.
Le responsable du logement de l’île-commune voisine, Ameland/It Amelân, 1.850 habitants et 600.000 touristes !, Theo Faber, explique que sa liste a gagné les élections en 2017 grâce à un programme basé sur la priorité donnée à cette question du logement. Ils y ont engagé des moyens financiers considérables en créant une entreprise communale dédiée à la création de logements. Depuis, 43 logements sont en cours de construction, dont 18 ont été vendus aux titulaires d’un « permis d’installation » que la commune a relié à la réalité d’un lien durable avec l’île, par exemple un contrat de travail d’un an au moins. Ce « statut de résident » informel est en place désormais, et leur programme de logements a même bénéficié de subventions européennes en plus du soutien de la région Frise !
Leur politique s’appuie sur un contrôle étroit des engagements pris par les bénéficiaires – car la tendance naturelle est trop souvent de tricher ! – : engagement de ne pas spéculer, de conserver et occuper leur bien pendant une durée longue de dix ans minimum. À ce dispositif ils ajoutent un système de prêts bonifiés pour les primo-accédants, et ils se sont lancés aussi dans la promotion immobilière d’un établissement à destination des plus âgés qui, ne pouvant plus rester dans leurs logements, étaient obligés de quitter l’île. Autre priorité politique : ils font la chasse aux logements vides pour les récupérer et les mettre dans le circuit des logements destinés aux résidents. Il y a 30 maisons vides dans sa commune, et il trouve que c’est déjà beaucoup trop !
La commune a constitué un stock de 40 terrains à bâtir pour se projeter dans l’avenir. Leur politique est de s’adresser aussi bien aux foyers économiquement faibles (revenus annuels inférieurs à 48.625 €) qu’aux classes moyennes (jusqu’à 85.000 € annuels par foyer). De la sorte ils réalisent une meilleure mixité sociale, et ils amortissent mieux leurs investissements en réalisant une partie des ventes avec une meilleure rentabilité. Leur objectif est de produire 100 logements à l’horizon 2030 en les réservant aux habitants résidents. Pour éviter toute dérive au détriment des moins riches, ils ont institué un observatoire sur les « temps d’attente » de ceux qui cherchent un logement. Si la liste d’attente s’allonge chez les plus pauvres, ils auront automatiquement la priorité pour le programme à venir. Pour eux les logements sont vendus à un prix moyen de 250.000 € quand le marché libre dépasse les 600.000 €.
Remercions l’ALE d’avoir réalisé ce colloque fort instructif dans les iles de Frise. Grâce à lui nous avons pu aller à la rencontre du « statut de résident » effectivement mis en œuvre dans ces îles au cœur de l’Europe. •