Alternative Non Violente

Construire la paix au Pays Basque

Le Mouvement pour une Alternative Non Violente* est un mouvement pour promouvoir la paix et la non violence entre citoyens et entre peuples. Il édite régulièrement sous la responsabilité de François Vaillant, une revue (Alternative Non Violente) qui s’est déjà penchée sur la situation de la Corse. Cette fois-ci, c’est au chevet du Pays Basque qu’elle pose son regard avec plusieurs grands témoins. Ces publications sont précieuses pour la bonne compréhension des situations et leur possible évolution positive. « Actuellement, avec Notre-Dame-des-Landes entre autres, explique ANV, se joue un débat idéologique sur la pertinence des stratégies violentes et non-violentes, sur la diversité des tactiques dans les luttes. Les initiatives des Artisans de la paix et la mise en regard avec la lutte pour l’autodétermination en Catalogne nous amènent à une réflexion globale instructive pour l’action ».

 

« La question basque est vieille de plusieurs décennies, elle est marquée par des épisodes d’une grande violence. En octobre 2011, la « conférence de la paix » d’Aiete propose une feuille de route pour une sortie du conflit au Pays Basque. En réponse, l’organisation ETA annonce « l’arrêt définitif de son activité armée » suite à près de 60 ans de lutte pour l’indépendance».

Le décor est planté, le dossier de ce mois de septembre 2018 « Construire la paix en Pays Basque » de la revue Alternative Non Violente se propose « d’informer et de donner les clés de compréhension » d’un conflit qui a fait plusieurs centaines de victimes. ANV évoque les différents aspects du conflit dans toutes ses dimensions, permettant aux lecteurs de mieux comprendre les mécanismes qui conduisent à la violence, et aux acteurs de mettre en oeuvre les solutions pour en sortir.

 

L’art de la paix. Txetx Etcheverry est cofondateur du mouvement Bizi ! et d’Alternatiba, artisan de la paix au Pays Basque. ANV publie son témoignage tiré de l’ouvrage Bake Lumak, des plumes de paix paru en 2017, où il raconte l’opération de Louhossoa, qui est le lieu de la première action de désarmement dans le cadre du processus de paix après l’annonce de l’arrêt définitif de la clandestinité par le mouvement ETA. Cette opération «de désobéissance civile » en faveur de la paix a impliqué plusieurs personnalités, que l’on a appelé par la suite artisans de la paix, et qui donc ont décidé de réceptionner des armes de l’ETA pour les remettre aux autorités. C’était une opération très risquée pour eux, tant d’un point de vue d’une interpellation qui pouvait mal tourner, que dans les suites judiciaires qu’une telle interpellation pouvait provoquer. En effet, le processus de paix était en panne après l’annonce d’ETA car les autorités françaises et espagnoles ne prenaient aucune initiative pour y donner suite. L’article décrit très bien l’opération et ses suites, car interpellation il y a eu. Heureusement, les artisans de la paix avait prévu un « plan B» pour se protéger d’une condamnation qui aurait été très lourde, grâce à une mobilisation populaire extraordinaire qui, non seulement a empêché une dérive judiciaire, mais a entraîné l’implication par la suite des deux gouvernements français et espagnol pour poursuivre le désarmement.

Cet exemple démontre à quel point la non-violence réclame du courage et de l’intelligence dans l’action. C’est un très beau témoignage qui donne toute sa force et son efficacité aux démarches de non-violence. «Nous voulons juste que la parole et l’intelligence remplacent les armes et la violence, explique Txetx, nous voulons qu’à l’art de la guerre succède celui de la paix. Et nous attendons que chaque partie en présence démontre dans les faits que c’est également là sa volonté ».

Véronique Dudouet dirige le programme de recherche de la Fondation Berghof en Allemagne où elle travaille à la résolution des conflits. Elle livre une réflexion sur « la société civile, acteur moteur du processus de paix basque ». Elle est un acteur effectivement essentiel de la construction de la paix dans toute société et l’exemple basque le démontre avec éclat. Quel que soit le sujet abordé, économique, social, éducatif, culturel, politique, la société civile basque a toujours été très présente, s’impliquant avec une pratique peu commune du dialogue et de l’échange, héritée de l’histoire et de l’âme de ce peuple. De tous temps, elle a pesé dans les débats, dans l’élaboration de propositions, et donc dans la résolution des problèmes. Elle le fait de manière organisée, partagée, et durable. C’est un trait de caractère singulier que d’autres peuples comme le peuple corse peuvent lui envier. « Sous l’impulsion des Nations Unies et autres médiateurs internationaux, les processus de paix contemporains sont caractérisés par la recherche croissante de formats participatifs – notamment en encourageant un rôle actif de la société civile, aussi bien à la table des négociations qu’aux processus plus larges de construction de la paix » nous dit Véronique Dudouet qui salue en la société civile « le véritable moteur du processus de paix ». Une implication primordiale quel que soit le conflit.

 

Les défis de la réconciliation.

Professeur de droit à l’Université de Pau, Jean-Pierre Massias est expert international en justice transitionnelle. Lui aussi se penche sur l’exemple basque et ses « défis de la réconciliation » car la construction de la paix y reste longue et ardue. Et l’attitude des États y est une entrave. Il y a ETA, la question des prisonniers, les revendications pour l’indépendance, mais il y a aussi « le gouvernement espagnol qui a mis en oeuvre des moyens légaux mais aussi illégaux pour lutter contre ETA: la constitution des groupes antiterroristes de libération (GAL), commandos paramilitaires espagnols, a porté son lot de violences et de tortures » explique Jean-Pierre Massias qui souligne l’originalité basque pour résoudre ces problèmes : le mouvement des artisans de la paix « c’est une révolution dans le processus. Il s’agit de placer « l’adversaire » face à ses propres contradictions. » On retrouve là tout l’intérêt de la mobilisation de la société civile, mais aussi des hommes politiques, toutes tendances confondues. Il est indispensable d’impliquer les deux parties afin qu’elles cheminent ensemble dans un souci d’équité de traitement de la douleur. « La justice transitionnelle est une structure qui ne condamne pas mais ne fait pas silence sur le passé, dit encore Jean-Pierre Massias, à mi-chemin entre amnistie et justice (…) La mise en place d’une Commission vérité et réconciliation fait partie des propositions au Pays Basque ». On comprend à quel point le processus est difficile lorsqu’on traite du traumatisme d’un conflit de 60 années et ses quelques 1000 victimes, sans parler des blessés, de leurs familles anéanties par le chagrin, et de l’impasse de la question des prisonniers dont certains purgent des peines de prison de plusieurs centaines d’années !

C’est dans ces circonstances où l’issue semble impossible que la non-violence peut être une arme pour bâtir la paix. Sabino Ormazabal Elola est militant écologiste et antimilitariste auteur de plusieurs ouvrages sur la non-violence. Il a lui même subi cette violence, incarcéré plusieurs années pour « désobéis sance civile ». Il raconte un Pays Basque moins connu du grand public dans sa tradition de non-violence. «On estime à 10.000 le nombre d’insoumis basques au service militaire obligatoire, dit-il. Les prisons étaient pleines d’insoumis, on n’arrivait plus à incarcérer ». En 2002, le gouvernement espagnol finit par mettre fin à ce service militaire obligatoire et dépénalise l’insoumission. Pour autant, « les antimilitaristes ont continué le combat contre l’utilisation des impôts à des fins militaires, contre l’armement, etc. » Et puis, il y a la lutte antinucléaire, la mobilisation est si forte que les Basques vont jusqu’à refuser de payer leurs factures d’électricité et des actions dures sont menées pour contrarier la livraison de matériel nucléaire.

Oriol de Balanzò, journaliste catalan, et David Fernàndez, journaliste et activiste social espagnol, ancien député, développent à leur tour la puissance du mouvement de la désobéissance civile pour conclure ce dossier «Construire la paix en Pays Basque» en en saluant toutes les retombées : « La désobéissance civile non-violente incorpore dans la résolution non-violente des conflits, la capacité de transformation sociale ainsi qu’une charge éthique et humaniste ».

Et si c’était un peu à ce défi là qu’est aujourd’hui convié le peuple corse ? Et s’il était justement appelé à s’organiser de façon originale et active pour lutter contre les résistances archaïques et jacobines dont il est toujours victime de la part de l’État ? D’autres textes suivent dans ce numéro d’Alternative Non Violente, et relèvent de la même démonstration du pouvoir surprenant de la non-violence sur les consciences, de son éventail de moyens d’actions et de sa force y compris sur les systèmes les plus fermés à l’évolution.

Notons pour conclure tout à la fois la finesse et la justesse des illustrations qui sont l’oeuvre du dessinateur de presse Lécroart . Vraiment excellent coup de crayon ! On pourrait – on devrait – parler davantage de cette revue, mais la meilleure façon de la découvrir est encore de la commander, ou même de vous y abonner ! «Combats non-violents, solidarité internationale, régulation non-violente des conflits, la revue relaie les engagements de toutes les personnes qui, venant d’horizons divers, désirent une vraie justice. Elle approfondit les fondements historiques, culturels et politiques de la non-violence. Elle transmet des arguments et des outils pour développer une culture de non-violence ».

À lire !

Fabiana Giovannini.

* Le MAN est un Mouvement non-violent de réflexion et d’action né en 1974. Association loi 1901 fédérant une vingtaine de groupes locaux regroupant plus de 400 adhérents, il a pour objectif de promouvoir la non-violence et de faire valoir son apport spécifique dans la vie quotidienne, dans l’éducation et dans les luttes sociales et politiques, pour une société de justice et de liberté.

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