Nobel de la Paix

La femme à l’honneur

Le Prix Nobel de la Paix a été créé en 1901, suite aux dernières volontés d’Alfred Nobel, fabriquant d’armes suédois pris de remords d’avoir inventé des engins de destruction… Ce prestigieux prix vise à souligner le rôle d’humains en faveur de l’Humanité, et récompense chaque année un homme ou une femme, parfois plusieurs personnes à la fois, un organisme ou une communauté. Cette année, c’est une militante yézidie et un médecin Congolais qui ont été honorés. Ce qui les unit est un combat pour la femme. Un témoignage de ses souffrances et de sa grandeur.

 

Le Nobel de la Paix 2018 est un encouragement à ces luttes dont on parle peut.

Le parcours de Nadia Murad et de Denis Mukwege est admirable de courage et de don de soi.

Elle est yézidie, cette minorité religieuse opprimée, principalement en Kurdistan et en Irak. Comme souvent les minorités, les Yésidis sont maltraités et jetés en esclavage. Nadia vivait dans son village de Kocho dans la région de Sinjar en Irak quand, lorsqu’elle a 21 ans, le village est attaqué par des Djadhistes. Les hommes qui refusent de se convertir à l’islam sont massacrés, les femmes, violées, torturées, prises en otages pour être vendues. Les enfants sont enrolés de force pour grossir les rangs de l’État Islamiste.

Nadia devient une esclave sexuelle. Violée plusieurs fois, vendue plusieurs fois. Au bout de son interminable calvaire, emenée à Mossoul, elle parvient à s’enfuir aidée par une famille de musulmans et trouve refuge au Kurdistan irakien. Là, avec d’autres Yésidis, elle fonde l’association Yazda de défense des droits des Yésidis. Malgré les entraves du régime irakien, Yazda parvient à se faire entendre de la communauté internationale. Nadia témoigne et devient la porte-parole de ces femmes martyrisées.

En 2015, elle parle devant l’ONU. En 2017, elle reçoit le Prix Sakharov avec une autre militante Yézidie pleine de courage, Lamia Haji Bachar. Aujourd’hui, ce Nobel de la Paix est tout un symbole pour la femme et pour cette communauté pourchassée, dont nombre de ressortissants sont regroupés aujourd’hui dans des camps de réfugiés aux conditions de vie déplorables, dans l’espoir un jour de fuir vers l’Europe pour se reconstruire à l’intérieur de nos frontières si bien gardée contre les migrants… « En tant que survivante, je suis reconnaissante pour cette opportunité d’attirer l’attention internationale sur la situation critique des Yézidis qui ont enduré des crimes inimaginables », a réagi Nadia Murad à l’annonce de son prix. «Comme nombre de minorités, les Yézidis ont subi le poids de la persécution… Les femmes en particulier ont beaucoup souffert et continuent à être victimes de violences sexuelles… La persécution des minorités doit cesser. »

 

Celui qui répare les femmes. Honoré avec elle, Denis Mukwege est médecin gynécologue, surnomé «celui qui répare les femmes».

Victime d’une tentative d’assassinat, menacé dans son pays, il a créé un hopital à Bukavu, dans l’ouest du Congo, dédié à ces femmes violées, déchirées par la vie, au sens propre, comme au sens figuré. Le Monde* vient de publier une pleine page d’une interview extrêmement émouvante de cet homme hors du commun.

Prix OlofPalme, Prix des droits de l’Homme en 2008, Prix Sakharov en 2014, sa vocation de médecin le gagne à l’âge de 8 ans. Il veut soigner des enfants et devient pédiatre. Mais c’est au chevet de femmes de plus en plus abîmées par la maltraitance qu’il décide de vouer sa vie. « Je suis tombé des nues lorsqu’une patiente, en septembre 1999, m’a raconté qu’elle avait été violée par six soldats et que l’un d’eux avait ensuite tiré dans son vagin. Comment une telle cruauté est-elle possible? Pourquoi cette obstination à mutiler ? J’ai soigné cette femme en me disant qu’elle avait certainement croisé le chemin d’un fou.

Mais il y en a eu une autre. Puis une autre. Et une autre. Au fil des mois, les cas se sont comptés par dizaines, par centaines, par milliers.

Le phénomène s’est transformé en épidémie plongeant l’est du Congo sur le chemin des ténèbres…. Je me suis retrouvé confronté à une situation qu’aucun médecin n’avait encore affrontée, et pour laquelle les manuels n’étaient d’aucun secours. Ma vie en a été bouleversée» dit encore Denis Mukwege. Il ouvre un hôpital, invente des chirurgies réparatrices, s’entoure d’autres médecins, les forme… fait appel à des psychologues. Il interpelle aussi la communauté internationale, dénonce cette «arme de destruction massive» des viols «prémédités, méthodiques » où l’on cherche à «détruire la matrice, la porte d’entrée de la vie». Il croyait dénoncer son pays, il découvre à quel point la femme est une victime partout. « J’ai découvert que le viol de guerre existait dans toutes les sociétés. »

«Le lobbying financier est décidément le plus fort. L’argent, propre ou sale, ferme les bouches» dénonce encore le Dr Mukwege. 80% des réserves mondiales de coltan se trouvent au Congo, dans la région même où ces femmes sont capturées. Le coltan est indispensable à la fabrication des condensateurs utilisés notamment dans les smartphones dont la fabrication explose dans le monde. «Les armées et d’innombrables milices se sont emparées de ces eldorados. La mondialisation a des conséquences inattendues » déplore le médecin congolais qui dénonce la complicité de son gouvernement et des puissances internationales.

Car il s’adresse bien au-delà du Congo pour dénoncer la condition féminine. «Plus je parcours le monde, plus je suis touché de voir à quel point elles sont instrumentalisées, rejetées, déshumanisées. Et combien les normes sociales continuent de les maintenir dans une classe de sous-hommes. C’est inacceptable. »

Nadia Murad, Denis Mukwege, à travers ces deux parcours admirables, le Nobel de la Paix 2018 récompense un message pour la femme, à l’adresse de l’humanité.

Fabiana Giovannini.

* Le Monde du 07.10.2018, propos recueillis par Annick Cojean.

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