« Bloody Sunday », 30 janvier 1972

52 ans après le massacre des manifestants nord-irlandais

Le 30 janvier 1972, un régiment de parachutistes britanniques réprimait une marche pacifique contre les discriminations envers la minorité catholique à Derry en Irlande du Nord, faisant plus d’une dizaine de morts…

 

 

À l’époque, l’Irlande du Nord est à grande majorité protestante et les discriminations envers les catholiques sont courantes dans l’emploi, le logement ou encore la justice. Le « Bloody Sunday » est un moment majeur du conflit nord-irlandais opposant les catholiques, souhaitant la réunification de l’Irlande, et les protestants souhaitant rester partie du Royaume-Uni. Ce conflit de trente ans fera 3 500 morts et 45 000 blessés jusqu’à la signature des Accords de paix en 1998.

Le dimanche 30 janvier 1972 à Derry, une marche pacifique pour protester contre la loi sur l’internement permettant d’emprisonner des militants sans jugement est organisée à la suite de l’appel de l’association nord-irlandaise pour les droits civiques (Nicra). Cette loi est en fait dirigée contre les catholiques républicains et plus particulièrement contre les soldats de l’IRA. En 1968, une précédente marche de la Nicra organisée pour protester contre les discriminations dans l’attribution des logements sociaux avait donné lieu à des affrontements, marquant le début de la période des « Troubles ». C’est dans ce contexte que les autorités britanniques décident d’autoriser la manifestation mais de modifier son tracé pour qu’elle prenne uniquement place dans la zone catholique de la ville, ségréguée entre les protestants et les catholiques. Des barricades sont alors posées pour marquer le parcours et sont surveillées par un régiment de parachutistes de l’armée britannique.

 

Ce jour-là, près de 20 000 manifestants défilent alors dans les rues de Bogside, quartier catholique de Derry, point culminant de la discrimination des protestants envers les catholiques. La manifestation est menée par Bernadette Deylin, députée catholique au Parlement du Royaume-Uni, qui dénonce les condamnations sans procès de militants républicains. À la fin de la manifestation, de jeunes manifestants quittent le cortège et se dirigent vers les soldats postés au croisement de Bishop Street et de Rossville Street, des parachutistes britanniques du premier bataillon amenés en renfort de Belfast. Dans un mouvement de foule, les militaires ouvrent le feu et tuent quatorze militants dont sept adolescents, et blessent seize autres personnes dont certains gravement. Plus d’une centaine de coups seront tirés vers les manifestants, dont la plupart dans le dos.

Deux versions de ce jour sanglant s’affrontent alors pendant des dizaines années. Certains témoignages rapportent que les militaires ont tiré sur des manifestants pacifiques, parfois déjà à terre. Selon l’armée britannique les soldats n’ont fait que répliquer à des tirs de manifestants armés, identifiés comme des membres de l’IRA, qui récuse les accusations. Le gouvernement britannique retient la version des parachutistes, en dépit de l’absence de victimes chez les militaires et de l’absence d’armes retrouvées du côté des manifestants. Ce n’est qu’à partir de 1998 avec la signature des Accords de Paix que la thèse officielle est remise en cause. Un rapport d’enquête publié en 2010 contredit la version de l’armée et conclut que l’armée britannique a bien tiré en premier contre les manifestants non armés et non identifiés comme membres de l’IRA. Des excuses beaucoup trop tardives ont été présentés par l’ancien Premier ministre David Cameron qui a qualifié l’action de l’armée comme « injustifiable », en 2011.

 

Cette année, la commémoration du massacre du 30 janvier 1972 prend une autre dimension alors que Michelle O’Neill, vice-présidente du Sinn Fein, est devenue Première ministre d’Irlande du Nord ce samedi 3 février. C’est la première fois qu’une républicaine favorable à l’unification de l’Irlande devient cheffe du gouvernement nord-irlandais. La nouvelle Première ministre a estimé être « dans une décennie d’opportunités » et a évoqué dès le lendemain de son élection un référendum sur l’unification de l’Irlande dans les dix prochaines années. Cette victoire électorale majeure permet de rêver à nouveau en une Irlande unifiée. •

Pauline Boutet-Santelli.