Deux ans après le début de la guerre, entretien avec l’Association Solidarité Corse-Ukraine

« Il n’est pas aisé de combattre un peuple libre »

Nataliya Khobta Santoni a fondé Solidarité Corse Ukraine, une association pour venir en aide au peuple ukrainien depuis l’invasion russe en février 2022. Arritti lui avait consacrée une interview au mois de mars 2022 ainsi qu’au mois d’octobre 2022. Elle nous racontait son Ukraine, les horreurs de la guerre et la mise en place de l’association. Elle fait un point sur la situation des réfugiés ukrainiens en Corse.

 

 

Comment est organisée l’association et comment s’est-elle créée ?

Je suis la présidente de l’association Solidarité Corse-Ukraine que j’ai créée 48h après le début de la guerre, mon mari Ange Santoni est le vice-président. J’ai tout de suite contacté le Dr François Pernin, qui m’a conseillé de créer l’association car la guerre était partie pour durer. J’ai contacté des proches en Ukraine dont le parrain de ma famille qui m’a fait réaliser le sérieux de la situation. J’ai tout de suite demandé l’aide de Joëlle Martinetti, et 2h plus tard l’association était créée. Il y a des personnes très actives dans l’association comme le Dr François Pernin, Joëlle Martinetti, Phillipe Dubreuil… Il y a aussi Margot, aumônière près de l’archevêque de Corse, qui nous aide. Il y a également beaucoup de gens qui nous soutiennent ponctuellement, comme l’association Pè a Pace qui nous a aidé pour le matériel médical.

 

Quelles sont les premières actions que vous mettez en place à ce moment-là ?

La mairie d’Aiacciu nous a rencontré dans les jours suivants et ils ont organisé un concert à l’espace Diamant au profit de l’association. Mi-mars, les premiers réfugiés sont arrivés et j’ai servi d’interprète. Il y a eu une très grande solidarité corse, avec un afflux de dons financiers. Il y a eu aussi des dons de vêtements et de produits d’hygiène, collectés surtout à Bastia. Et pour le matériel paramédical, c’était plutôt nous en Corse-du-Sud. Jacky Santoni, ancien président de la Protection civile en Corse, a parcouru l’île pendant des mois pour récupérer le matériel en pharmacie, comme les couches, les orthèses, les alèses, les biberons… Au mois d’avril, mon mari faisait des va-et-vient à la frontière en Pologne avec de la nourriture et des produits d’hygiène pour les porter à Cracovie. Il s’est retrouvé à la frontière ukrainienne, c’était le premier voyage. Depuis, chaque mois on y va.

 

Comment se passent vos voyages ?

On n’a pas besoin d’autorisation spéciale pour passer la frontière depuis 2010, le passeport européen suffit même en temps de guerre. On arrive à remplir le pick-up avec les dons. On a 6 m3 de dons à chaque fois. On fait en sorte que ces dons soient triés dans des cartons avec des étiquettes en plusieurs langues, pour que ce soit pratique à distribuer, puis à la frontière on est fouillé. On a une déclaration de la frontière pour indiquer que c’est du matériel humanitaire et on transmet le matériel paramédical à un contact qui est médecin sur le front.

 

Selon les chiffres de l’association, il y a 200 réfugiés ukrainiens en Corse. Comment vous accompagnez ces réfugiés ?

À un moment donné, on a frôlé 300 réfugiés. Certains arrivent, certains repartent. Je pense qu’on doit être entre 200-250 réfugiés, mais les enfants ne sont pas vraiment répertoriés.  Au départ, on a eu une collaboration avec le Secours Catholique qui donnait des cours de français gratuitement aux volontaires, puis une collaboration avec Pôle Emploi. Pour les enfants, dans chaque région il y a des classes qui sont habilités à recevoir les enfants non francophones puis à l’Université de Corse il y a eu l’ouverture d’un DU Français Langues étrangères et 6 étudiantes ont pu l’intégrer en 2022. Après, on a des jeunes qu’on a pu aider financièrement pour intégrer des écoles sur le continent, on a l’exemple d’une étudiante qui a pu intégrer une école de graphisme à Toulon par exemple. Les réfugiés rencontrent des difficultés comme la lourdeur administrative dans leurs différentes procédures d’aides. Il y a aussi parfois des problèmes d’adaptation au système scolaire pour les enfants. Après, il y a également le problème de trouver un emploi, mais quasiment tous ceux qui sont restés ont trouvé un emploi en moins de six mois. Mais il y a des freins comme l’âge, la langue c’est certain. C’est aussi notre rôle d’être vigilant sur les conditions de vie des réfugiés ukrainiens en Corse car ce sont des populations en situation de vulnérabilité.

 

Quels sont les dons et l’aide logistique dont vous avez le plus besoin ?

Il y a un personnage que j’adore… Pasquale Paoli qui a un jour dit que l’héroïsme c’est le sacrifice de soi-même. On a besoin d’argent pour aller en Ukraine parce que chaque voyage nous coûte 2000 euros. Plusieurs choses sont coûteuses pendant les voyages comme dormir dans un hôtel avec un parking sécurisé pour les dons par exemple. On a aussi besoin d’aide humaine pour accompagner les réfugiés, pour les rassurer… Accompagner les familles prend beaucoup de temps. Concernant les livres et les vêtements, on n’a pas les moyens de les amener. On donne la priorité au matériel paramédical pendant les voyages.

Également, au milieu de tout ça il y a des enfants, orphelins. Pendant la guerre aucune adoption n’est possible. J’ai été contactée l’année dernière par l’école Saint-Paul d’Aiacciu et depuis l’école œuvre pour les orphelins en Ukraine. Les enfants du CP au CE2 font des dessins pour les envoyer à l’hôpital de Kharkiv pour les orphelins et à Noël on a ramené 150 cadeaux pour eux. On prépare une troisième opération pour Pâques, le diocèse montre aux enfants de CP au CM2 que l’on peut faire quelque chose de désintéressé pour les enfants, et les enfants corses fabriqueront des petits cadeaux en pâte à sel. Les enfants ne parlent pas la même langue, n’ont pas la même culture, n’ont pas la même religion mais à travers les dessins et les petits cadeaux faits par les enfants corses, ils communiquent. Ce n’est rien mais ça fait plaisir aux enfants ukrainiens. On pourrait également collecter des jouets pour leur envoyer.

 

Quel est l’appel que vous lancez aujourd’hui ?

On a besoin que la solidarité soit relancée, on a surtout besoin de dons financiers, et de dons de matériel paramédical aussi bien de la part des professionnels que des particuliers. Au lieu de jeter une attelle par exemple vous pouvez nous la donner. J’ai également un message à faire passer : nous recherchons un local dans la microrégion d’Aiacciu, on peut discuter pour le prix.

 

Comment est l’état du moral des Ukrainiens restés au pays ?

J’entends deux sons de cloche, les ukrainiens fatigués par cette situation et qui veulent que ça s’arrête, puis une autre partie qui a la rage, souvent des gens qui ont perdu un proche. Quoi qu’il en soit, les ukrainiens ne veulent pas le retour à l’URSS et à la Russie. Il n’est pas aisé de combattre un peuple libre, les corses me comprendront. Les ukrainiens se battent pour leur culture, mais en face il y a un nombre supérieur de chair à canon, la force n’est pas du coté ukrainien, mais l’Ukraine protège sa terre. La question n’est pas de savoir si l’Ukraine va gagner mais quand elle va gagner, et qui restera pour la remettre en état. •

Propos recueillis par Pauline Boutet-Santelli.

 

Pour donner à l’association, flashez le QR-code, ou connectez-vous sur : www.helloasso.com/associations/solidarite-corse-ukraine

 

 

Pour marquer ces deux années de guerre, les réfugiés ukrainiens en Corse ont organisé deux rassemblements à Bastia, et à Aiacciu (ici sur la place St Nicolas à Bastia). « L’Ukraine est le bouclier de l’Europe, arrêtez Poutine »… « 2 ans de guerre sanglante »… « des civils et des enfants meurent chaque jour !!! Nous vous supplions d’entendre la voix de l’Ukraine, nous avons besoin de votre soutien »… Munis de pancartes et de drapeaux aux couleurs de leur pays, plusieurs dizaines de personnes dans les deux villes se sont rassemblées. 10 millions d’Ukrainiens ont dû quitter le pays, pour la plupart femmes et enfants, près de 300 personnes ont trouvé refuge en Corse et tentent de se reconstruire, mais leur cœur est resté là-bas. « N’oublions pas l’Ukraine ! » • F.G.