Ukraine

La paix par épuisement ?

Le mois prochain, le conflit en Ukraine rentrera dans sa quatrième année. La guerre d’invasion déclenchée par Vladimir Poutine a redonné une actualité à des guerres que l’on croyait révolues, au fond des tranchées comme en 14-18 ou à Stalingrad, avec des fronts soutenus à bout de bras, de forces et de vies humaines, pour des enjeux de gains territoriaux dérisoires à l’échelle de l’immensité de pays comme la Russie, et même comme l’Ukraine. Il est habituel que de telles guerres frontales entre les armées régulières de deux pays durent quatre ans, rarement davantage. Tout laisse à penser qu’il en sera de même en Ukraine.

 

 

Depuis quelques mois, l’armée russe progresse lentement sur une partie du front, et elle communique de temps à autre sur tel ou tel « village » conquis. Mais ces avancées sont microscopiques, et les trophées dérisoires, car il ne reste plus de ces « villages » que quelques pans de murs.

 

Pour l’Ukraine, chaque recul est une blessure car elle perd une partie de son territoire. Mais le sentiment était très répandu, avant même que la guerre ne soit déclarée, que sa souveraineté ne pourrait être reconquise facilement sur des territoires qu’elle ne contrôlait déjà plus depuis 2014, en Crimée et dans le Donbass, et que la stabilisation du front sur des lignes qui préservent l’essentiel de ses intérêts était déjà une issue inespérée quand les chars russes ont déferlé par milliers en direction de Kiyv et de Kharkiv le 22 février 2022.

Car les intérêts vitaux de l’Ukraine ne se jouent pas sur sa frontière à l’est, qui sera pour très longtemps un mur de l’Histoire. Par contre, la sauvegarde d’Odessa, et de sa façade maritime en mer Noire avec la sécurisation, désormais acquise par des victoires navales décisives, d’un corridor d’exportation de ses denrées, notamment ses céréales, était un enjeu vital.

Le gros des pertes territoriales de Kiyv sont situées à Zapporijja et dans la région de Marioupol et de son arrière-pays, sur le littoral de la mer d’Azov que la Russie avait déjà entièrement privatisée en construisant le pont de Kertsch dont les arches commandent tout l’accès à cette mer intérieure. Dans la négociation finale ces territoires seront regardés à la loupe et soupesés dans l’accord final. L’Ukraine en perdra certainement une bonne partie, mais gardons à l’esprit que la question de l’existence-même de l’Ukraine était posée face à l’invasion russe. Sa résistance a sauvé le peuple ukrainien d’un effacement de l’Histoire.

 

Côté russe, au coût humain et économique de cette guerre est en train de s’ajouter celui de son coût politique. Plusieurs signaux forts sont à considérer.

7 milliards de dollars de pertes en 2023, la toute première fois depuis 20 ans : l’institution économique Gazprom est en difficulté économique sévère en raison de la perte du marché européen du gaz décidé à titre de sanction économique, puis contraint et forcé pour l’Allemagne par le sabotage du gazoduc de la mer Baltique Nord-Stream, et enfin rendu définitif par la coupure de l’approvisionnement à travers l’Ukraine de certains pays européens (Autriche, Slovaquie, Hongrie). Cette dernière décision doit alourdir les pertes de 6 milliards de dollars supplémentaires.

Le maintien de ce gazoduc en activité était une bizarrerie de la guerre entre les deux pays, mais le gaz retenu à titre de péage par l’Ukraine permettait de faire tourner ses centrales électriques.

Or Moscou les a méthodiquement détruites à coups de missiles de longue portée, et désormais l’Ukraine n’a plus rien à perdre !

Outre le gaz, d’autres secteurs stratégiques souffrent économiquement de l’embargo occidental. Or Moscou s’appuie énormément sur ses mastodontes économiques pour s’affirmer comme une puissance mondiale. Quand ils vacillent, c’est le concept même d’une « Russie grande puissance » qui est ébranlé.

L’effondrement du régime de Bachar El Assad en Syrie est une preuve claire de la baisse d’influence de la Russie dans le monde. Il y a cinq ans, elle faisait preuve de sa puissance en maintenant en place, coûte que coûte, le pouvoir syrien. Après trois ans de guerre en Ukraine, elle est restée impuissante en raison d’une capacité d’intervention très amoindrie. Or la Syrie, qui abrite ses bases militaires, aérienne et navale, en Méditerranée, est d’une importance capitale pour les influences extérieures de Moscou. De là elle rayonne sur l’Afrique, avec une implication forte auprès des nouvelles dictatures militaires africaines, au Mali, en Centrafrique, au Burkina Faso, etc.

Autre signal de ses difficultés opérationnelles, les déconvenues de la milice Wagner sur plusieurs fronts, notamment en Azawad, pays touareg du Nord Mali, où elle a perdu d’importantes batailles sans réussir à rétablir la situation.

 

Dans la guerre en Ukraine, l’épuisement ne menace donc pas seulement Kiyv. Moscou aussi est concerné. Aucun des protagonistes n’a d’autre perspective qu’un cessez-le-feu à négocier. Le résultat final dépendra des rapports de forces sur le terrain, et des soutiens internationaux dont chaque belligérant dispose. Poutine se rapproche de l’Iran. Zelinsky choie Donald Trump.

La table de négociation va s’ouvrir. •

François Alfonsi.