Dans le contexte mystérieux des arcanes du pouvoir en Russie, la folle équipée de la milice Wagner forte de 25.000 mercenaires ne soulève que des points d’interrogation, et bien des réponses hasardeuses. Mais, à l’évidence, cet épisode inattendu ne peut rester sans lendemain.
Que sait-on de façon certaine ? Primo que la milice Wagner est composée de mercenaires qu’il faut payer et armer chaque mois. Quand elle intervient en Afrique, le deal est clairement passé avec le pouvoir en place dans le pays où elle intervient, le plus souvent en se payant sur des concessions minières dont elle prend le contrôle en échange de ses prestations sécuritaires. La relation avec Moscou se résume alors à une convergence d’intérêts politiques, et l’apport de moyens logistiques tels que des armements ou une couverture diplomatique.
Quand elle intervient sur le terrain ukrainien en appui direct à l’armée russe, c’est très différent. Le Kremlin est alors obligé de pourvoir aussi à la paye des mercenaires. Visiblement, c’est là que le bât blesse puisque l’éruption putschiste d’Evgueni Prigojine est survenue alors que le ministère russe des armées avait décrété que, à compter du premier juillet, les miliciens Wagner du front ukrainien seraient désormais enrôlés dans l’armée russe. C’est-à-dire payés par elle directement, et non via l’état-major de Wagner ainsi mis hors-jeu. L’effet déclencheur de cette décision apparaît certaine.
Deuxio, les gradés russes se méfiaient depuis des mois. Les polémiques récurrentes déclenchées sur le manque d’approvisionnement en munitions, alors que Wagner guerroyait pour prendre le contrôle de Bakhmout, s’expliquent sans doute par la crainte de l’état-major russe de surarmer ces bataillons réputés incontrôlables. Les événements du 24 juin leur ont donné raison, mais manifestement le stratagème médiatique de Prigojine avait été suivi d’effet. Durant cette journée folle, ses miliciens ont abattu trois hélicoptères et un avion de chasse, ce que l’armée ukrainienne n’a pas réussi à faire depuis qu’a été lancée sa contre-offensive !
Tertio, en quelques instants, Wagner a pris le contrôle du quartier général des forces armées à Rostov, là où l’état-major coordonne l’intervention de l’armée russe en Ukraine. Qu’il ait pu le faire avec une telle facilité est déconcertant, et à vrai dire inexplicable, tout comme la chevauchée rocambolesque de ses troupes en direction de Moscou à mille kilomètres de là. Aucune unité militaire ne l’a bloqué en chemin, et les interventions aériennes ont été lourdement combattues par l’équipement militaire dont dispose Wagner.
Les questions qui sont en suspens
Les déclarations de Vladimir Poutine le matin de la mutinerie étaient très claires : il fallait terrasser ceux qui trahissaient la Russie. Puis, en une demie journée, les choses ont été renversées, au point d’arriver à un armistice improvisé sous l’égide du dictateur bielorusse Loukatchenko. Que cache cette volte-face ? Une faiblesse du pouvoir incapable d’endiguer cette fronde armée ? Un calcul politique ? Que valent les accords passés ? Prigojine fera-t-il l’objet de représailles meurtrières ? C’est très probable, à moins qu’il ne réussisse à rebondir à nouveau à la faveur des évolutions de la stratégie militaire de la Russie.
Vu d’Ukraine et de ses alliés, l’épisode est comme du pain bénit. Alors que l’armée russe apparaissait capable d’une forte résistance aux assauts de l’armée ukrainienne, la débandade de son état-major en Russie ne peut que peser sur le moral des troupes. La chaîne de commandement ne peut sortir indemne d’une telle carnavalade.
Mais regagner des territoires est plus difficile que de les défendre, surtout sur un front consolidé de multiples fortifications destinées à empêcher la progression des chars, fussent-ils occidentaux et de dernière génération. Kiyv n’a certainement pas la partie facile. Le sera-t-elle un peu plus désormais ? On le saura dans les semaines à venir.
Enfin, comment se terminera cette guerre d’Ukraine ? L’épisode du coup d’éclat/coup d’État de Wagner nous apprend que, en temps de guerre, tout peut arriver, même le plus improbable ! •