Depuis le lundi 13 mai, des manifestations et des affrontements secouent la Kanaky. À l’origine de ces manifestations, un projet de loi constitutionnel prévoyant un élargissement du corps électoral pour les élections provinciales. Cette réforme, qui s’inscrit dans le contexte des trois référendums successifs de 2018 à 2021 remportés par les loyalistes, provoquerait une dilution du vote kanak dans le corps électoral. Ce 15 mai, le texte est adopté par 351 voix pour et 153 voix contre malgré les revendications du peuple kanak.
On compte, dans l’histoire de la Kanaky, nombre de révoltes comme la Grande révolte kanak de 1878 menée par le grand chef de Komalé Atai, ou encore la révolte de 1917 menée par le chef de Tiamou Noel Néa Ma Pwatiba. Mais ce sont les « Évènements », guerre civile opposant les indépendantistes aux opposants à l’indépendance, qui font entendre la cause kanak et la souffrance d’un peuple pour la première fois après 20 ans de revendications nationalistes.
Après 4 ans de quasi-guerre civile, les Accords de Matignon de 1988 sont conclus entre Michel Rocard, Premier ministre de l’époque, Jean-Marie Tjibaou, indépendantiste du FLNKS, et Jacques Lafleur, anti-indépendantiste RPCR. En 1988, les accords sont ratifiés lors d’un référendum approuvé à presque 80 %.
En 1998, dans la filiation des Accords de Matignon, les Accords de Nouméa sont signés par Lionel Jospin alors Premier ministre, et les présidents du RPCR et du FLNKS, et instaurent un processus de décolonisation sur vingt ans. Selon les mots de Lionel Jospin, l’accord « ouvre une nouvelle période de paix pour ce territoire, à l’histoire trop longtemps troublée, il permettra à ses habitants d’affirmer leur identité propre, d’exercer des responsabilités croissantes dans la conduite des affaires publiques et de continuer la marche vers le progrès social et le développement économique. […] L’Accord de Nouméa est le fruit d’un dialogue entre des hommes de bonne volonté qui ont accepté, sans renier leur conviction ni renoncer à leurs aspirations, de parcourir ensemble un nouveau chemin pour sceller leur destin commun. » Le protocole de Nouméa est le premier texte de la République française à reconnaitre le fait colonial, et prévoit 20 ans pour développer les conditions économiques et sociales nécessaires à l’indépendance de la Kanaky. Il reconnait à la fois l’identité kanak, ses traditions, ses langues, ses coutumes tout en gelant le corps électoral pour certaines élections dont l’élection des trois Assemblées de province et celle du Congrès. Ainsi, seuls les habitants de la Kanaky depuis avant 1998 et leurs descendants y vivant depuis au moins dix ans peuvent voter à ces élections.
Aujourd’hui, les habitants arrivés après 1998 représentent 1 résidant sur 5, créant une situation de prépondérance des kanaks dans le corps électoral jugée « contraire aux principes démocratiques et aux valeurs de la République », selon le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Le processus de décolonisation est alors remis en cause par le ministre de l’Intérieur à qui le dossier a été passé. Le « destin commun » de Jospin semble une idée lointaine sous la présidence d’Emmanuel Macron. En effet, les multiples gouvernements du second quinquennat Macron enchainent les erreurs. Tout d’abord, l’organisation du troisième référendum en 2021 pendant la période covid. Les Kanaks, beaucoup plus touchés que le reste de la population, sont surreprésentés dans les morts de la pandémie. La promesse d’Edouard Philippe au FLNKS d’organiser le référendum en 2022 est alors rompue par Jean Castex et le boycott des kanaks entraine un taux d’abstention de 56,1 %. Le président indépendantiste du Parlement local, Roch Wamytan (UC-FLNKS), le qualifiera de « référendum de l’État français ».
La même année la loyaliste Sonia Backes est nommée secrétaire d’État chargée de la citoyenneté. Un autre message négatif est envoyé aux indépendantistes
Un autre changement majeur se situe dans la gestion du dossier. Autrefois géré par Matignon, il est aujourd’hui porté par le ministère de l’Intérieur, une « relégation » à un niveau inférieur. Cette rupture dans la « mémoire du dossier » démontre alors tout le mépris des gouvernements Macron pour la situation des kanaks. Une autre erreur a été de penser que le métissage et l’émancipation économique ont éloigné la jeunesse du mouvement indépendantiste. Il n’en est rien tant la crise est aussi sociale et économique que politique.
L’État ne cache alors plus sa volonté politique : la Kanaky doit rester française, au détriment de la qualité et du respect du processus institutionnel. L’entente du camps Macron avec les anti-indépendantistes est scellée lors de la présentation du projet de loi en avril 2024. Le gouvernement, pour la première fois depuis les Accords de Matignon, décide de l’avenir des kanaks sans accord local. Le projet de loi permettrait aux citoyens français vivant depuis dix ans en Kanaky de voter aux élections provinciales, et serait défavorable aux indépendantistes. À la tête du Congrès de la Kanaky, ils souffriraient de la réintroduction dans le corps électoral de 25.000 électeurs (INSEE, 2024), pour la moitié des natifs descendants de colons et pour l’autre moitié des nouveaux arrivants. La remise en cause politique du processus de décolonisation par Emmanuel Macron pose question alors que ses prédécesseurs ont maintenu le processus en cours. On pense notamment à la réintroduction du gel du corps électoral en 2007 par Jacques Chirac après son annulation par le Conseil constitutionnel en 1999. •