Québec

Une nation dans l’Histoire

Vendredi 15 juin, l’intergroupe du Parlement européen regroupant les députés engagés dans la défense des langues et des cultures des minorités du Parlement européen a reçu M. Stéphane Bergeron, député québécois au niveau fédéral du Canada, et engagé au sein du Parti Québécois. Comme le Canada a un statut d’observateur au sein du Conseil de l’Europe, il vient trois fois par an siéger à Strasbourg. À cette occasion il a témoigné de la situation du Québec, qu’il a présenté comme « le plus européen des États nord-américains ». Voici l’essentiel de son intervention.

 

 

La population du Québec est très majoritairement de langue française. Après la signature du Traité de Paris, en 1763, qui confirmait la conquête de l’Amérique du Nord française par l’empire britannique, la Proclamation royale, une loi martiale, a eu pour effet d’imposer l’application du droit britannique sur ce territoire. Suite aux premières révoltes, et pour prévenir une « contagion révolutionnaire » avec les révoltes des (futurs) États américains, le pouvoir colonial britannique transige. L’Acte de Québec, en 1774, a rétabli le droit civil français, et, l’Acte constitutionnel de 1791 attribue au Bas-Canada — l’ancêtre du Québec actuel — une assemblée législative.

Les revendications non satisfaites de ces parlementaires auprès de la Couronne britannique conduisent à un soulèvement, tant dans le Bas-Canada que dans le Haut-Canada. Cette rébellion est réprimée dans le sang en 1837, 1838 et 1839. Puis, en 1841, les deux Canadas sont réunis dans le cadre de l’Acte d’union, dont l’un des objectifs à peine voilé était de noyer les Canadiens de langue française et de religion catholique dans un ensemble plus vaste de langue anglaise et protestant.

 

*Stéphane Bergeron, député québécois au niveau fédéral du Canada, aux côtés de François Alfonsi, député européen de la Corse pour l’ALE.
Stéphane Bergeron, député québécois au niveau fédéral du Canada, aux côtés de François Alfonsi, député européen de la Corse pour l’ALE.

L’approche historique

Depuis 1867, la signature de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique régit le fonctionnement du Canada actuel, qui devint une fédération initialement composée du Québec — anciennement le Bas-Canada — de l’Ontario — l’ancien Haut-Canada —, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick.

L’Acte a réparti les compétences : la défense, la monnaie et la poste, par exemple, au gouvernement fédéral, santé, éducation et services sociaux aux provinces. Cette répartition pouvait apparaître logique et équilibrée au départ, mais le gouvernement fédéral s’est réservé trois pouvoirs exclusifs qui allaient faire une grande différence avec le temps.

Si le pouvoir de désaveu, qui permettait au gouvernement fédéral d’invalider une loi provinciale, est peu à peu tombé en désuétude, les deux autres sont toujours pleinement effectifs et viennent pervertir l’équilibre qui était recherché au départ. Le pouvoir résiduel fait en sorte que tous les domaines d’activités qui n’existaient pas ou qui n’avaient pas été expressément prévus dans la constitution en 1867 incombent automatiquement au gouvernement fédéral. C’est ainsi que l’aérospatiale et les télécommunications, par exemple, sont tombés dans l’escarcelle d’Ottawa. Or, cette compétence en matière de télécommunications, par exemple, a notamment permis au gouvernement fédéral de s’immiscer dans des secteurs comme celui de la culture, qui est indispensable au Québec pour lui permettre de préserver sa spécificité.

Le pouvoir de dépenser est le plus pernicieux des deux, puisqu’il permet au gouvernement fédéral d’investir ses ressources financières considérables dans les compétences provinciales. Car la capacité financière du gouvernement fédéral est considérablement plus importante que celle des provinces. En effet, le partage de l’assiette fiscale pouvait aussi apparaître plutôt équilibré en 1867, sauf qu’à l’époque, ce sont essentiellement les autorités religieuses qui s’occupaient des hôpitaux, des hospices et des collèges, autant de secteurs d’activité qui relevaient théoriquement de la responsabilité des provinces.

Avec la perte d’influence des Églises et leur retrait subséquent de ces champs d’activité, mais aussi avec les développements technologiques et la hausse de l’espérance de vie, les coûts, pour les provinces, ont littéralement explosé, sans que leurs ressources fiscales n’augmentent de façon équivalente. Les provinces se sont donc peu à peu retrouvées dans un grand état de dépendance financière à l’égard du gouvernement fédéral. C’est ce qu’on a appelé le phénomène du « déséquilibre fiscal », lequel se poursuit de plus belle aujourd’hui.

Par exemple, au cours des années soixante et soixante-dix, alors que le Québec vivait sa « Révolution tranquille » et son lot de transformations majeures, l’idée d’un accès universel aux soins de santé a fait son chemin au Canada. Au fil du temps, le gouvernement fédéral a considérablement réduit sa contribution financière aux soins de santé, qui atteint maintenant à peine 23 % des coûts.

 

Carte du Québec

Le mouvement indépendantiste

En 1976, un premier gouvernement indépendantiste est élu à la tête du Québec et s’engage à tenir un référendum sur la souveraineté avant la fin de son mandat. Ce référendum a eu lieu en 1980. Le Premier ministre canadien de l’époque, feu Pierre Élliott Trudeau, le père de l’actuel premier ministre du Canada, promet aux Québécois que s’ils votent NON, il procédera à une réforme constitutionnelle allant dans le sens de leurs attentes. Ils en furent quittes pour une amère déception… Qu’a-t-on changé, au fond, si ce n’est l’enchâssement, dans la constitution, d’une charte des droits et libertés ? Réforme constitutionnelle il y eut, mais au détriment du Québec, qui, à ce jour, n’a toujours pas apposé sa signature au bas de la nouvelle loi constitutionnelle de 1982.

Sauf que ces changements se sont révélés, à la longue, lourds de conséquences… La charte avait bien sûr pour objet de préserver les droits et libertés des individus. Or, le Québec s’employait, depuis les années soixante, à tenter de préserver sa spécificité linguistique et culturelle. On parle ici, pour bien saisir la portée des enjeux, d’un frêle esquif de quelques millions de francophones dans un océan nord-américain essentiellement anglophone. Dès lors, les dispositions de la charte allaient miner les efforts déployés par le gouvernement du Québec. En 1982, l’esprit originel du pacte confédératif de 1867 a littéralement volé en éclats. Dans l’esprit des représentants du Québec y ayant souscrit, l’Acte de l’Amérique du Nord britannique constituait une entente conclue entre deux nations fondatrices : celle d’origine française et celle d’origine britannique. Avec la Loi constitutionnelle de 1982, le Québec devenait simplement une province parmi plusieurs autres.

Malgré un deuxième référendum sur la souveraineté, qui a eu lieu en 1995 et qui s’est soldé par un résultat extrêmement serré, le problème demeure entier, puisque le Québec n’a toujours pas adhéré à la Loi constitutionnelle de 1982.

Après le référendum de 1995, le gouvernement fédéral a demandé à la Cour suprême de statuer sur la légalité d’une déclaration unilatérale d’indépendance de la part du Québec. La réponse n’allait pas tout à fait lui plaire… La Cour suprême a conclu que si, au terme d’un référendum, il y avait une réponse claire à une question claire, le gouvernement fédéral aurait l’obligation constitutionnelle de négocier la sécession du Québec. La Cour s’est cependant bien gardée de définir ce que seraient un résultat clair à une question claire.

Le mouvement souverainiste québécois n’a jamais proposé une rupture complète avec le Canada. Nos amis européens sont bien placés pour savoir que, dans ce monde toujours plus interdépendant, il est illusoire de prétendre à une parfaite indépendance.

Aujourd’hui, une certaine lassitude constitutionnelle s’est installée. L’appui à l’indépendance, qui a toujours oscillé entre 33 % et 37 %, est de nouveau en hausse au Québec. Est-ce le début d’un nouvel élan vers l’indépendance ?

Le Québec continue à se démarquer du reste du Canada à plusieurs égards. Alors que, par exemple, le Canada continue de subventionner généreusement l’industrie des hydrocarbures et celle de l’énergie nucléaire, le Québec, favorisé par sa géographie, a construit, avec ses deniers, un impressionnant réseau de barrages, ce qui en a fait l’un des plus importants producteurs hydroélectriques de la planète. Conscient du fait que ce réseau très développé s’avérera néanmoins insuffisant à plus ou moins brève échéance, le Québec s’emploie à développer en accéléré ses filières éolienne, solaire et hydrogénique. Dans un autre ordre d’idées, alors que le Canada a adopté le modèle nord-américain d’éducation supérieure favorisant les élites par rapport aux classes populaires, le Québec a choisi de faire de l’éducation la pierre angulaire de son développement social et économique. C’est ainsi qu’en l’espace de quelques décennies, il est passé de l’un des taux de diplômés figurant parmi les plus faibles en Occident à l’un des plus élevés. On a également fait le choix de rendre les frais de scolarité abordables, si bien qu’encore aujourd’hui, ils figurent parmi les plus bas en Amérique du Nord.

Au cours de la Révolution tranquille, le Québec a développé ce qu’il est convenu d’appeler la « doctrine Gérin-Lajoie », selon laquelle tout ce qui est de compétence interne l’est également sur la scène internationale. Le Québec a ainsi pris l’habitude de conclure lui-même des traités touchant ses compétences constitutionnelles avec nombre d’États fédérés, mais aussi avec des États souverains.

De plus en plus d’étudiants internationaux viennent étudier dans les collèges et universités du Québec. Je pense notamment aux étudiants des universités européennes qui profitent du programme ERASMUS+ pour venir chez nous enrichir leur expérience personnelle. Ces échanges étudiants contribuent au rayonnement international du Québec. Là encore, ces succès ont été réalisés malgré le gouvernement fédéral, qui s’emploie, d’une manière que d’aucuns pourraient qualifier de systémique, à refuser un grand nombre de demandes de visas présentées par des étudiants originaires d’Afrique francophone…

Pour le Québec, cette ouverture sur le monde est absolument capitale. C’est une question de survie.

De l’aveu même du gouvernement fédéral, le français est en net recul partout au Canada, y compris au Québec. Malgré tout, le Québec présente actuellement l’une des économies les plus dynamiques et diversifiées du monde occidental. En fait, le Québec constitue, à l’échelle nord-américaine, ce que d’aucuns pourraient qualifier de petite anomalie…

Pour un Canadien, le gouvernement national et le parlement national sont ceux d’Ottawa. Pour un Québécois, qu’il soit souverainiste ou fédéraliste, le gouvernement et le parlement d’Ottawa sont le gouvernement et le parlement de la fédération ; son gouvernement national et son parlement national sont situés à Québec. Le parlement du Québec s’appelle d’ailleurs l’Assemblée nationale.

Pour un Québécois, il est absolument vital de protéger jalousement les juridictions du Québec et de permettre à celui-ci de se projeter sur la scène internationale. Et c’est d’ailleurs dans cet esprit que je m’adresse à vous aujourd’hui… •