La victoire du non au référendum sur l’indépendance de la Nouvelle Calédonie n’est pas définitive. Avec 56% de non contre 44% de oui, le score est beaucoup plus étroit que prévu par les sondages, et deux nouvelles fenêtres sont prévues dans les accords de Matignon pour pouvoir remettre en jeu le résultat du scrutin du dimanche 4 novembre 2018.
Le peuple kanak a gagné ce dimanche le droit à l’autodétermination.
Il a tout d’abord déjoué les pronostics qui annonçaient une faible participation, notamment du côté de la jeunesse kanak que les sondages annonçaient découragée par une défaite annoncée. C’est le contraire qui s’est produit avec plus de 80% de participation.
Dans un corps électoral où les kanaks sont en minorité, le « non à l’indépendance » l’a emporté, mais, fort d’un corps électoral favorable, le camp du « non » espérait, conforté par les sondages, jusqu’à 70% des voix. Un tel score aurait définitivement conclu le débat et fait s’envoler le rêve kanak né il y a trente ans. Mais la mobilisation kanak a préservé l’espoir en limitant la victoire du « non ».
Les accords de Matignon avaient en effet accepté deux concessions aux demandes des dirigeants kanaks. La première était de « geler » aux conditions de 1988 le corps électoral, et de n’y inscrire aucun nouvel arrivant en dehors de ceux qui sont calédoniens d’origine et de ceux qui sont nés depuis sur le sol de l’archipel. La seconde est que la possibilité reste ouverte de pouvoir tenir deux nouveaux referendums avant 2022, s’ils sont demandés par 18 conseillers sur les 54 élus de la Collectivité Territoriale, ce qui correspond à la représentation incompressible des forces politiques indépendantistes, comme à celle, en cas de victoire du « oui », de ceux qui y sont le plus opposés.
Le mécanisme est simple : si la « première manche » avait été remportée par le « oui », nul doute que les anti-indépendantistes auraient demandé un nouveau vote. Et en cas de deux votes contradictoires, un troisième s’imposait pour trancher définitivement.
Que feront les indépendantistes ? Perdre une seconde fois serait sans appel. Il faut donc réfléchir soigneusement à la « fenêtre de tir » pour convoquer le nouveau scrutin. Quelques uns parmi les plus radicaux avaient choisi l’abstention croyant devoir dénoncer une consultation fantoche. Ils ont eu tort et ils devront être cette fois pleinement impliqués pour mobiliser tous les électeurs kanaks.
D’autre part, le score beaucoup plus resserré qu’annoncé indique que les populations non kanakes, wallisiens, métisses ou caldoches, n’ont pas tous fermé la porte à l’indépendance de l’archipel où ils vivent. Ce mouvement doit être analysé, et des stratégies mises en place pour en augmenter l’amplitude.
Car l’avenir de la Kanaky, au coeur de l’océan Pacifique, ne peut être limité à l’horizon d’une métropole française située aux antipodes, à 22.000 kilomètres, soit la plus longue distance possible entre deux points autour du globe terrestre.
Durant la phase de préparation du referendum, il y a eu divergence sur la formulation de la question entre les kanaks du FLNKS, le parti héritier de Jean Marie Djibaou, qui avaient proposé « voulez-vous que la nouvelle Calédonie accède à la pleine souveraineté », formule à laquelle le gouvernement a voulu ajouter « et accède à l’indépendance ».
Ce débat en dit long. En ajoutant explicitement « l’accès à indépendance » à la question, Edouard Philippe souhaitait manifestement agiter l’épouvantail nécessaire pour faciliter un score sans appel du « non ». Il a échoué. En ne souhaitant pas cet ajout, les Kanaks ouvraient en fait la porte à une possible « indépendance-association», c’est à dire la poursuite d’une relation de coopération structurelle France-Kanaky, mais dans un cadre négocié d’égal à égal entre un territoire souverain et une puissance lointaine.
Le score du referendum ouvre à nouveau le champ de cette négociation, sous le regard de l’ONU qui a placé la Nouvelle Calédonie sous le statut de territoire à décoloniser. Encore faudra-t-il que la gouvernance Macron enlève ses oeillères et accepte un véritable dialogue. Nous sommes placés en Corse pour savoir que ce n’est pas gagné face à un pouvoir hermétique aux évolutions institutionnelles et à la reconnaissance des droits des peuples historiques dans la Constitution.
Dimanche soir, à Nouméa, ce sont les drapeaux kanaks qui ont envahi les rues. Pour la Kanaky, l’Histoire n’est pas finie.
François Alfonsi.