L’accord survenu entre Athènes et Skopje pour donner le nom de Macédoine du Nord à l’Ancienne République Yougoslave de Macédoine, FYROM (Former Yougoslav Republic Of Macedonia) dans les textes officiels de l’Europe, est un succès diplomatique dont il est difficile de comprendre l’importance tant les enjeux en sont avant tout symboliques.
Mais, en politique, les symboles comptent énormément !
Preuve de cette importance, le score extrêmement serré du vote exprimé par le Parlement grec pour approuver cet accord (153 voix contre 147), sous la pression de manifestations de dizaines de milliers de grecs emmenés par l’extrême droite Aube dorée, tandis que le gouvernement d’Alexis Tzipras a éclaté sur ce sujet. La Macédoine est devenue indépendante en 1991 quand l’ancienne Yougoslavie, Etat fédéral regroupant Serbie, Slovénie, Croatie, Bosnie, Kosovo, Monténégro et Macédoine a éclaté.
Comme il n’y avait pas de forte minorité serbe sur le territoire de l’ex-Macédoine Yougoslave, cette scission s’est faite sans conflit armé avec Belgrade. Mais, quand la reconnaissance du nouvel Etat est arrivée devant l’ONU, la Grèce s’opposa à ce qu’on l’appelle Macédoine. D’où l’acronyme FYROM, qui est à la Macédoine ce que PACA est à la Provence, une appellation inacceptable aux oreilles du peuple macédonien.
Internationalement, tous les états passèrent outre, et ont appelé « Macédoine » le nouvel État. Mais, en Europe, la Grèce dispose d’un droit de véto, et tous les textes officiels ont donc continué de l’appeler FYROM. Au Parlement Européen, chaque fois qu’un texte y manquait, tous les députés grecs, droite et gauche confondues, se mettaient à protester, et même hurler dans l’hémicycle, ce qui n’arrive jamais ou presque sur aucun autre sujet. Et, conséquence particulièrement dommageable pour la Macédoine et pour l’Europe, alors que la Croatie et la Slovénie ont rejoint l’Union Européenne, que Bosnie, Monténégro, Kosovo et Serbie sont en pourparlers pour le faire un jour, la Grèce opposait son véto à toute discussion avec la Macédoine tant qu’elle n’avait pas renoncé à son nom de Macédoine !
Une histoire très ancienne.
Cette situation ubuesque sort de l’Histoire très ancienne, de la Grèce d’Alexandre le Grand, né en Macédoine, symbole de l’apogée de la plus grande civilisation de l’Europe antique, forcément chère au coeur de tous les Grecs. Mais les siècles sont passés, une population slave s’y est majoritairement installée dès la chute de l’empire romain, puis il y eut des siècles de conflit entre Europe et Empire Ottoman, où, au gré des conquêtes militaires, le pays changeait à chaque fois de nom officiel tandis que les cartographes européens continuaient de l’appeler de son nom antique de Macédoine.
Et aussi, dans l’Histoire récente, la fin de la seconde guerre mondiale a fait tomber le rideau de fer à la frontière actuelle entre Macédoine et Grèce, après que la résistance communiste de Grèce, particulièrement forte contre le nazisme, ait continué le combat dans le maquis, particulièrement dans le Nord de la Grèce, elle-même culturellement macédonienne, durant plusieurs années après la chute du nazisme, pour appuyer la revendication soviétique sur la Grèce.
Car en Grèce, comme en Allemagne ou en Corée, le partage Est-Ouest qui a conduit à quatre décennies de « guerre froide », a été très disputé, jusqu’à 1950 et au-delà. Nombre de Grecs communistes, parmi lesquels beaucoup de ressortissants des dizaines de communes de langue macédonienne du nord de la Grèce, se sont battus contre le pouvoir d’Athènes allié des Américains, au nom de leur idéal communiste, et aussi, pour beaucoup d’entre eux, de leur identité slave macédonienne.
Une minorité discriminée.
Ce territoire macédonien à l’intérieur des frontières grecques, c’est un peu comme la Catalogne du Nord en France.
La Grèce fait tout pour en éradiquer l’identité historique, à commencer par la langue macédonienne bannie de l’espace public comme cela a été fait par les autorités françaises en Catalogne. C’est sans nul doute une des minorités les plus discriminées d’Europe, privée de tout droit politique et culturel.
L’appellation « Macédoine du Nord » est un compromis qui a permis de débloquer la situation. Il suscite bien des protestations chez les Macédoniens qui s’indignent d’avoir dû renoncer à leur propre nom de Macédoine. Mais il ouvre à Skopje le chemin de la coopération avec l’Europe, et, à terme plus ou moins éloigné, celui de l’intégration de ce pays montagneux à l’Union Européenne.
Dans ce nouveau contexte, les Macédoniens de Grèce, véritables victimes de l’hégémonisme d’Athènes, devront batailler encore durement pour faire reconnaître leur identité et leur droit à l’autonomie. Mais, dans la dynamique européenne que ce déblocage diplomatique va permettre, leurs chances de réussite seront meilleures que dans le face à face exclusif avec Athènes.
Les gouvernements grecs actuels de Skopje et d’Athènes ont, malgré leurs oppositions internes, pris une décision de raison.
F.A