Lingua

Jean-Claude Morati : Lingua, tradizione è trasmissione !

Dès son plus jeune âge, Jean-Claude Morati a cultivé une passion pour la langue corse, ses facettes et sa richesse. Depuis les années 1980, il s’attèle à raconter et à transmettre ce qu’il a recueilli à qui veut bien tendre l’oreille ou ouvrir un de ses livres.

 

 

Quel est votre parcours ?

Mon parcours personnel est divers et varié. Tout d’abord, il n’y avait pas à l’époque d’université en Corse, je suis donc parti à la faculté la plus proche qui était à Marseille, ce qui me permettait de revenir tous les trimestres.

J’ai fait des études de sciences naturelles, j’ai eu mon CAPES à 23 ans avec lequel j’ai commencé à enseigner à des lycéens et en parallèle je me suis inscrit en dentaire, après mon diplôme j’ai donné cours aux premières années de dentaire et puis j’ai continué dans ce sens en passant un tas de diplômes, mais quelque part j’ai toujours fait de l’enseignement, et à tous les niveaux.

Entre temps, je me suis marié, on a construit avec ma femme dans mon village de Casaglione pour préparer la retraite à l’avance, parce que les gens arrivent à la retraite, sont complètement déstabilisés, ne savent pas où donner de la tête et font des dépressions. Moi je n’ai jamais fait de dépression de ma vie, Balzac raconte d’ailleurs dans Les paysans que les paysans ne font pas de dépression, ils ont trop de travail et d’occupations et n’ont pas le temps de gamberger. C’est ce que j’ai fait, j’ai bossé toute ma vie.

 

Quand avez-vous commencé à écrire et quel a été le déclic ?

J’ai d’abord commencé à écrire à la fin des années 1960 en rédigeant le rapport de mon diplôme d’étude supérieur de pétrologie avec comme sujet les granits du vallon de La Garde à Grimaud, et je n’ai jamais arrêté du fait des différents écrits que j’ai réalisé tout au long de mes études. Puis j’ai écrit en 1983 en collaboration avec le professeur Albertini le Guide pratique de la nomenclature à l’usage des chirurgiens-dentistes et des stomatologistes.

C’est à ce moment-là que j’ai commencé à écrire mon premier livre avec mon défunt père Quelques aspects de la vie rurale en Corse d’hier publié en 1988 et j’ai continué à écrire jusqu’à aujourd’hui pour en arriver à quatorze livres, presque cinq-mille pages et un peu plus de sept-mille dessins à la plume.

 

 

Quelle est la raison de votre démarche à l’origine ?

Une démarche de curiosité linguistique d’abord, puisque je suis rentré au lycée à Aiacciu en 1949, et étant déjà un peu bilingue on échangeait déjà des mots entre élèves, mais la grande moisson que j’ai faite c’est lorsque je suis arrivé à la cité universitaire Saint Jérôme à Marseille en 1964, où on était plus de quatre-vingt corses de tous les horizons de l’île, le samedi nous restions entre nous à parler toute la journée, et moi je notais les différences de mots chez l’un, chez l’autre, etcetera, etcetera. D’ailleurs le papier coûtait très cher et n’ayant pas beaucoup d’argent à l’époque j’allais au journal La Marseillaise où j’achetais les chutes de papier journal et puis j’ai continué toute ma vie à engranger et noter tous les mots qui attiraient mon attention, on peut dire que j’ai une curiosité de tous les instants.

Donc j’écris et surtout je dessine avec des annotations précises et j’essaye d’être le plus rigoureux possible dans le vocabulaire corse qui est extrêmement riche et d’une grande qualité par sa diversité étymologique avec des mots aux racines latines, grecs ou même allemandes.

 

N’y a-t-il pas une forme de militantisme dans votre démarche ?

Militantisme oui car je ne veux pas me laisser envahir d’abord par des formes de gallicisme outrancières, et puis par l’invasion des mots italiens, cela me chagrine lorsque je vois des pratiques qui par facilité tendent à arranger des mots français ou à ajouter un « u » aux mots italien. Je ne suis d’ailleurs pas favorable au fait d’unifier la langue corse qui selon moi anéantirait toute sa richesse. Je lutte aussi pour intégrer à mes livres le maximum de variantes régionales, c’est un peu mon combat de tous les jours, un travail non pas de force mais qui nécessite beaucoup de patience.

Mais je ne suis pas non plus un militant de base, je le dis souvent, à chacun sa baleine blanche. Moi je cite les choses, chacun en prend, chacun son combat, je ne fais qu’offrir ce que j’ai recueilli sur soixante-dix ans d’âge.

 

Vous avez commencé d’ailleurs à publier vos études dans les années 1980, est ce que l’on peut dire, d’une certaine façon, que votre démarche s’inscrivait dans le fil du riacquistu ?

Non, parchi sò natu acquistatu. En 1970 lorsque débute le riacquistu j’ai vingt-quatre ans, je savais parler corse, je savais l’écrire, je savais le chanter, je n’ai pas eu le besoin de ré-acquérir quoique ce soit. Maintenant ma démarche s’inscrit dans la transmission de tout ce que je sais, de la manière la plus pure si je puis dire.

 

Pour conclure, auriez-vous un message, un conseil à adresser aux jeunes générations ?

Oui, c’est de lire beaucoup, d’apprendre beaucoup et surtout de vérifier beaucoup. Il faut toujours vérifier, il faut avoir un esprit critique, un esprit élevé et je pense que là, ils vont exceller parce que nous avons des intelligences en Corse, que je pense supérieures. D’ailleurs comme le dit Balzac, tout insulaire est supérieur au continental (sur un ton moqueur). •

Interview réalisée par Florian Riolacci.