Recul des droits linguistiques en Europe

L’intergroupe des minorités du Parlement européen tire la sonnette d’alarme

L’intergroupe au Parlement européen pour les droits des minorités organisait une conférence sur le déclin des droits linguistiques en Europe ce mercredi 7 septembre. Plusieurs intervenants étaient présents, dont Fernand de Varennes, rapporteur des droits des minorités pour les Nations Unies. Trois tables rondes conviaient ces témoins à faire part de leurs expériences entrecoupées de prestations de Doria Ousset, qui a remporté le Liet, concours international de l’Eurovision des langues régionales 2022. Elle était accompagnée au piano, à la guitare et à la mandoline par Marina Luciani, Bernard Ferrari et Antoine Leonelli. Un moment fort où la langue et la culture corses se sont faites entendre devant un parterre de députés européens de plusieurs nations.

 

 

L’intergroupe au Parlement européen a été fondé en 1983 et regroupe plusieurs dizaines de députés de presque tous les groupes siégeant au Parlement européen : droite, socialistes, centristes, Verts-ALE. François Alfonsi (ALE) copréside cet intergroupe avec notamment l’eurodéputée basque Izaskun Bilbao Barandica (PNV) et Loránt Vincze du PPE (Centre droit). L’intergroupe est particulièrement actif sur la question des droits des langues menacées de disparition. Le 7 septembre, il organisait cet échange sur le déclin de ces langues et le recul de leurs droits au sein de l’Union européenne.

Pourtant, près de 50 millions de personnes parlent une langue minoritaire en Europe, et 86 millions souffrent de leur disparition programmée. La Commission européenne, dominée par les États, ne s’empare pas de ce sujet, bravant les idéaux européens de défense de la diversité. L’intergroupe développe un lobbying actif pour forcer la porte de ce centralisme jacobin. Il porte notamment depuis 2017 l’initiative citoyenne Minority Safepack, pétition européenne lancée par la FUEN, Fédération de minorités nationales créée en 1949 et regroupant plus de 100 organisations dans 35 pays. Cette pétition a recueilli plus d’un million de signatures validées dans 11 pays et a gagné ainsi le droit de réclamer à la Commission l’élaboration d’une loi (directive) pour protéger ces langues et cultures menacées. « Nous sommes très préoccupés car l’implication de l’Union européenne en faveur des langues traditionnelles et des minorités nationales, nous semble très en dessous des besoins et même en recul régulier mandature après mandature » a dénoncé François Alfonsi. « L’Union européenne doit être la garante de la diversité culturelle de l’Europe. C’est sa devise, inscrite dans les différents traités. La Commission en continuant de la sorte se rend coupable de non-assistance à culture en danger. » Pour l’intergroupe, la conférence est donc un « point d’étape pour relancer et faire converger les initiatives ». État des lieux, propositions, action ont été développés tout au long de trois tables rondes.

 

Pour Fernand de Varennes, l’attitude qui consiste à nier les droits des minorités, notamment dans l’enseignement est « déraisonnable et injustifiée ». Privilégier la langue anglaise tout en discriminant les langues régionales, est une « atteinte aux droits à l’égalité » qui contrevient aux textes internationaux. « L’utilisation d’une langue minoritaire comme langue d’enseignement est un droit fondamental » affirme le rapporteur des Nations Unies qui s’offusque du « manque de volonté en Europe de reconnaître que les minorités ont des droits ». On observe depuis l’ONU « une régression, un mouvement de recul sur tous les instruments européens de protection de ces langues ». Ce sont de « simples cadres et pas des traités à part entière » qui ne permettent pas de réel recours au niveau juridique. « La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires énonce clairement qu’aucune communauté ne jouit de droits, ce qui est tout à fait surprenant en droit international » déplore encore Fernand de Varrennes qui encourage ceux qui en souffrent à faire appel au droit international. « Ce n’est pas un hasard, c’est voulu et c’est la preuve de la discrimination à l’égard des langues dans l’Union européenne », dénonce-t-il alors que les résolutions du Parlement européen recueillent plus de 80 % de voix favorables.

Une situation qui va de pair avec les « paroles haineuses à l’encontre des minorités, notamment dans les réseaux sociaux, l’islamophobie, l’antisémitisme, etc. Il y a instrumentalisation des minorités. Les populistes font de ces minorités des cibles à des fins discriminatoires » déplore-t-il. Au-delà des droits culturels bafoués, il y voit une menace pour la paix. C’est la « bipolarité du “nous contre eux” puissante et destructrice ». L’ONU peut, doit être saisie, encourage-t-il. En démontrant la discrimination qui s’exerce à l’encontre des langues régionales, il y a possibilité de se faire entendre au moyen des conventions internationales pour les droits des minorités.

 

 

La FUEN, Federal Union of European Nationalities (Angelica Mlinar, vice-présidente), est à l’initiative du Minority Safepack qui vise à l’élaboration d’une convention cadre avec la Charte des langues régionales et minoritaires de l’Europe. Mais depuis, c’est malheureusement la stagnation des droits des langues. « Tant que les futurs États membres attendent d’adhérer, ils sont très actifs. Une fois l’adhésion acquise, leur enthousiasme retombe » dénonce la FUEN. Avec cette initiative européenne, elle met la pression sur la Commission. Son objectif est d’adapter la politique de cohésion dans les zones où il y des locuteurs de ces langues. Plusieurs parlements régionaux ont fait part de leur soutien à cette initiative, dont le Bundestag en Allemagne. La commission a promis un débat mais a rejeté toutes les propositions de la FUEN. 73 eurodéputés ont envoyé un courrier pour critiquer cette position de la Commission européenne et une requête a été engagée. « Nous avons espoir de l’emporter devant la Cour de Justice. La procédure est en cours, nous espérons un arrêt de la Cour de Justice d’ici la fin de l’année, tout au plus en début d’année prochaine ».

 

L’Unesco a rendu un rapport sur l’analyse des aides de l’Union européenne aux langues minoritaires. « La diversité est un des piliers du projet européen pas seulement pour les 24 langues européennes, mais pour toutes les langues, y compris les langues des migrants et les langues régionales ou minoritaires » explique le représentant de l’Unesco Vicent Climent Ferrando.

« 80 % de ces langues auront disparu d’ici la fin du siècle si l’on ne fait rien. Plus il y a d’exposition à la langue plus il y a de résultats favorables, y compris d’ailleurs pour la langue majoritaire. Soutenir les langues régionales ou minoritaires n’affecte pas la langue majoritaire » affirme l’Unesco qui rappelle la résolution Alfonsi adoptée il y a plus de 10 ans pour protéger les langues menacées et les nombreux textes internationaux sur le sujet. « L’Union européenne n’a pas de compétences législatives mais peut aider ou soutenir ces langues. Il faut promouvoir le multilinguisme, c’est une réalité dans de nombreux pays. Plus de la moitié des Etats membres reconnaissent des langues sur leur territoire ».

 

Le Conseil de l’Europe est représenté par Elise Cornu, chef de la Division sur les minorités nationales et les langues minoritaires créée en 2020. Elle rappelle que la Convention cadre pour la protection des minorités nationales et la Charte européenne des langues régionales demeurent les textes de référence du Conseil de l’Europe. 25 ans après leur entrée en vigueur, 25 États ont ratifié la Charte des langues, 39 ont signés la Convention-cadre, 79 langues sont protégées par la Chartre des langues. Elise Cornu met sur le compte de la pandémie l’aggravation de la situation des minorités dans de nombreux États membres, et reconnaît que de nombreux États s’occupent de l’enseignement dans la langue majoritaire « en négligeant les besoins des locuteurs des langues régionales ou minoritaires ». La situation de guerre en Ukraine est aussi très préoccupante. La Russie a été exclue du Conseil de l’Europe en mars dernier. Même s’il y a quelques progrès dans certains États, il reste beaucoup à faire entraînant « beaucoup de frustrations » chez les locuteurs des langues discriminées du fait du manque de volonté politique des États de changer la donne.

« Une culture qui dispose de moyens suffisants pour concourir notamment dans le monde audiovisuel, c’est une langue qui vit et qui se développe » vante Izaskun Bilbao Barandica. Elle est fière de présenter Andoni Aldekoa de la Torre et Isabel Octavio Uranga, de la radio et télévision basques EITB, un outil qui a transformé le paysage audiovisuel en Euskadi.

 

EITB a été créée il y a 40 ans alors qu’il n’y avait que les deux chaînes espagnoles. Elle est devenu le premier moyen de communication à avoir rompu le monopole espagnol. La chaîne développe des programmes en basque pour les enfants, des programmes pour l’international, des programmes de musique, diffusés y compris sur internet. « 40 à 60 % des productions doivent être créées, écrites ou dirigées par des femmes ». EITB concurrence des chaînes internationales. Elle est présente sur Youtube pour aller chercher des publics, notamment jeunes. Elle essaie de combattre les influences étrangères. « Halloween aujourd’hui est une des fêtes les plus importantes. On est en train de transformer profondément les identités européennes et basques… Il nous faut conquérir le public, réinventer le pourquoi de notre existence, promouvoir notre propre langue notre propre culture. Générer un “cadre basque”. Nous devons avoir une garantie de contenus de, et en basque, en étant forts en termes d’informations et de service public ».

Les plateformes comme Netflix, Amazone… sont tenues de respecter ces obligations et rachètent des titres pour leur catalogue qui seront diffusés en basque. « La fiction c’est la marque de fabrique d’un pays. Il faut l’utiliser. Nous nous positionnons comme un pays qui génère toute une économie dans la filière audiovisuelle » explique Andoni Aldekoa de la Torre. « Notre langue doit être positive, attirante, choyée. Nous avons une marche de 21 jours, la Korika, où nous valorisons l’euskara et la joie de la diffuser. Elle a généré 400.000 vues sur Youtube ».

« Il faut donner envie aux jeunes de parler et consommer en basque… Le sport est un véhicule pour notre langue : création d’un programme pour diffuser la Cesta Punta, grande fête de la pelote basque ».

« La stratégie de communication qui mise sur la langue de son pays, je trouve ça formidable » commente Elin Haf Gruffydd Jones du Pays de Galles, Présidente de Elen. La pandémie a transformé nos stratégies de communication. EITB se tourne vers le futur. La télévision galloise a la même approche : une identité visuelle, des couleurs identifiables, des contenus spécifiques, la numérisation, des archives analogiques, des programmes disponibles. « Quand on se penche sur les langues minoritaires, nous savons que les services publics sont cruciaux. Il faut une infrastructure numérique fiable… Dans ce contexte, la fracture technologique entre langues de grande diffusion et langues de faible diffusion s’accroit. Une vingtaine de langues européennes sont menacées de disparition. Il est crucial de transmettre la langue d’une génération à l’autre. Le numérique parfois interrompt cette transmission qui se faisait par l’oralité. Il y a urgence à ne pas perdre la transmission linguistique ».

 

Elen, c’est 157 associations spécialisées dans le domaine des droits des langues minoritaires explique son représentant, David Hicks. L’organisation dénonce l’impunité des Etats (population catalane réprimée pour s’être exprimée en catalan). « La situation de discrimination s’aggrave alors que nous sommes censés respecter la diversité, ça doit changer. Elen se tourne vers le Conseil de l’Europe et les Nations Unies pour faire bouger les choses, vivre nos vies dans nos langues ».

L’intergroupe souhaite une directive pour protéger les langues minoritaires, combattre la discrimination linguistique, protéger les droits fondamentaux des minorités, faire en sorte qu’elles ne soient plus vues comme un problème mais comme un apport aux sociétés.

Il faut un cadre pour protéger les minorités linguistiques, les reconnaître, assurer un suivi de leur situation, sanctionner toute discrimination, garantir un service transfrontalier aux minorités linguistiques, « la promotion et la mise en œuvre des droits des minorités linguistiques sont une valeur ajoutée pour nos sociétés ».

 

Peio Jorajuria, président de Seaska, présente la fédération des écoles en langue basque, membre d’Eskolim qui rassemble dans toutes les régions en France où il y a une langue régionale à défendre, les réseaux d’enseignement associatif immersif. Eskolim c’est six réseaux, en Alsace, Bretagne, Pays Basque, Catalogne, Occitanie et Corse, qui comptaient en 2021, 188 établissements pour un peu plus de 14.100 élèves, de nombreuses écoles primaires, 16 collèges et 4 lycées. Ces écoles sont sous contrat d’association depuis 1993, reconnues par l’État comme service public d’éducation, et donc avec une prise en charge par l’État des enseignants. Au bout de la scolarité, l’enfant est parfaitement bilingue et d’un excellent niveau en basque, mais aussi en français. Les établissements Eskolim réalisent parmi les meilleurs résultats scolaires de France. « C’est pourtant un modèle en danger, censuré par le Conseil constitutionnel depuis mai 2021, mais “autorisé” depuis décembre 2021 pour gommer, sans le contredire, l’avis du Conseil constitutionnel ! Les établissements subissent des attaques de l’administration, en Corse, les écoles ne sont pas encore contractualisées, en Pays Basque, les élèves ne peuvent pas passer leurs épreuves du baccalauréat en langue basque ».

 

En conclusion, l’intergroupe par la voix de Izaskun Bilbao Barandica prône « une stratégie globale et une coopération poussée entre les communautés concernées » pour résister à ce recul des droits linguistiques, dynamiser l’économie et la création d’emplois préserver la justice sociale. « Des échanges d’expériences, des partenariats publics/privés, le dynamisme des médias, en particulier les médias publics, ainsi que le dynamisme et la coopération avec la société civile ont été et continueront d’être essentiels à la préservation et à la promotion des langues minoritaires, et à la création dans ces langues ».

« À cette tribune, vous avez un député socialiste, un député PPE, un député du groupe Renew et moi-même des Verst-ALE. J’espère que l’on sera entendu dans nos groupes et que l’on pourra mettre la question des langues et cultures minoritaires à l’agenda du parlement européen ! » a conclu François Alfonsi. À suivre donc dès ces prochains mois. •

Fabiana Giovannini.