Discrimination linguistique

Longa vita à Fañch è Artús !

Né à la maternité de Quimper le 11 mai 2017 de parents bretons, le petit Fañch (François en breton) s’est vu refuser par les services d’état civil de la ville l’enregistrement de son prénom au prétexte du ñ tildé. Fanch, c’était possible, Fañch, non ! Excès de zèle de la part d’un fonctionnaire « républicain » par trop rigide ? (en effet des prénoms bretons ont déjà été enregistrés en Bretagne), ou bien nouvelle offensive jacobine contre les langues régionales ? On penche plus aisément pour la seconde hypothèse, au vu de la bataille judiciaire qu’il a fallu mener pour faire reconnaître dans toute son identité le petit Fañch. D’autant que, en Occitanie, c’est le petit Artús, né à Mende en Lozère, qui est aujourd’hui la cible de cette discrimination linguistique…

 

 

En 2017, les parents de Fañch, outrés, se retournent contre leurs élus qui font rectifier l’orthographe du prénom de l’enfant. Mais aussitôt, le 31 mai, le procureur de la République porte plainte devant le Tribunal de grande instance de Quimper (sic), invoquant une directive en date du 23 juillet 2014 qui fait référence à l’article 2 de la Constitution et n’autorise pas les signes diacritiques non utilisés dans la langue française ! Le 13 septembre 2017, le tribunal statue en faveur de la République de manière très politique en déclarant : « admettre un ñ reviendrait à rompre la volonté de notre État de droit de maintenir l’unité du pays et l’égalité sans distinction d’origine ». Chìbba ! Le petit Fañch porterait atteinte à l’unité de la République ! Heureusement, les parents poursuivent pour discrimination cette décision et le jugement est infirmé en Cour d’appel de Rennes le 19 novembre 2018 ; la Cour déclarant que le ñ n’était pas inconnu de la langue française, qu’il figurait dans plusieurs dictionnaires et que d’autres prénoms avec le ñ avaient d’ailleurs déjà été acceptés.

Mais le parquet s’obstine et fait appel devant la Cour de cassation le 17 octobre 2019. Heureusement encore, celle-ci, sentant le roussi, botte en touche et conclue à un vice de forme. Le jugement de la Cour d’appel est donc confirmé et tout le monde pense alors qu’il fera jurisprudence… C’était sans compter la hargne de ceux qui font la chasse se aux langues régionales, puisque toujours en Bretagne, le procureur de la République de Brest cette fois a refusé en novembre 2019 un second petit Fañch, né à Morlaix, prétextant que la cassation du Fañch de Quimper s’est faite sur vice de forme.

On reste sans voix.

Pour l’heure, c’est le jugement de la Cour d’appel qui s’applique mais cette nouvelle offensive démontre combien le combat contre les agressions de l’administration française va se poursuivre durant toute la vie du petit Fañch si l’on ne modifie pas l’article 2 de la Constitution. Il s’agit d’une véritable croisade menée par nombre de représentants de l’État contre les langues régionales et leur droit à l’existence.

 

Une attitude que confirme le cas du petit Artús en Occitanie. Né le 15 décembre dernier, ses parents se sont vus refuser le prénom de leur enfant par l’état civil de Châteauneuf-de-Randon au prétexte que l’accent aigu sur le ú n’existe pas en langue française. « On ne peut même pas appeler notre enfant par un prénom historique du territoire dans lequel on habite ! »* déplore Lissandre, le papa d’Artús qui a décidé lui aussi de se battre contre cet acharnement politique : « On le vit comme une discrimination culturelle… Artus sans accent correspond à une faute d’orthographe en occitan… la devise de la France est vide de sens. Se battre pour qu’une culture soit respectée, que notre langue soit respectée, c’est qu’on n’est ni libres, ni égaux, ni frères. »

Cet archaïsme a été débattu jusque dans l’hémicycle du Palais Bourbon. On se souvient qu’afin de les sécuriser, le député breton de R&PS Paul Molac avait souhaité inscrire dans la loi les signes diacritiques et sa proposition a été adoptée à une large majorité par le Parlement et le Sénat. Malheureusement, la loi Molac du 21 mai 2021 a été immédiatement censurée par le Conseil constitutionnel sur cette question du ñ, de même que sur l’enseignement immersif. Face à la colère et à la mobilisation montante de toutes les régions qui défendent une langue, Emmanuel Macron avait tempéré cinq jours plus tard en déclarant : « Les langues de France sont un trésor national. Toutes, qu’elles soient issues de nos régions en métropole ou de nos territoires d’Outremer, ne cessent d’enrichir notre culture française… Depuis des décennies, un mouvement majeur de transmission par l’école immersive, au travers d’associations comme Diwan, Seaska, les Calendretas, Bressola, ABCM et d’autres, a fait vivre ces langues et a garanti leur avenir. Rien ne saurait entraver cette action décisive… Le droit doit libérer, jamais étouffer. Ouvrir, jamais réduire. La même couleur, les mêmes accents, les mêmes mots : ce n’est pas cela notre nation. » Le Premier Ministre Jean Castex avait alors dépêché deux experts pour donner une nouvelle lecture à la décision du Conseil constitutionnel… D’autant que l’ONU s’en est mêlé…

 

Fernand de Varennes, rapporteur spécial des Nations Unies sur les questions des minorités, Alexandra Xanthaki, rapporteuse spéciale pour les droits culturels et Koumbou Boly Barry, rapporteuse spéciale sur le droit à l’éducation, cosignaient le 31 mai un courrier à l’adresse du gouvernement français dénonçant : « Cette décision peut porter atteinte à la dignité, à la liberté, à l’égalité et à la non-discrimination ainsi qu’à l’identité des personnes de langues et de cultures historiques minoritaires de France. Ces langues, recensées au nombre de 75 selon le rapport officiel Cerquiglini en 1999, sont pour la plupart classées par l’Unesco en danger de disparition. »

Le 16 décembre, une nouvelle circulaire du ministère de l’Éducation nationale affirme : « l’enseignement par immersion est une stratégie possible d’apprentissage de l’enseignement bilingue », levant ainsi l’interdiction de la méthode immersive d’enseignement en langues régionales. Mais peut-il y avoir une écriture dans ces écoles, et un rejet de celle-ci dans l’état civil pour l’enregistrement de prénoms en langue régionale ?

 

Le comble, c’est que le ñ (appelé tiltre) existe dans la langue française. Il est courant au Moyen-Age et jusqu’au XVIIIe. Il est même mentionné dans l’ordonnance de Villers-Cotterêts qui a pourtant servi contre les langues régionales**, puis l’usage et l’Académie Française l’ont peu à peu gommé de l’orthographe du français avant qu’il ne soit réintroduit par le biais de la reconnaissance des langues étrangères du fait des migrations notamment espagnole et portugaise… D’ailleurs le nom du préfet de police de Paris (nommé en juillet 2022), ex-secrétaire d’État à l’Intérieur, ex-patron de la DGSI (2017), coordonnateur de la lutte contre le terrorisme (2020), Laurent Nuñez-Belda, doit-il être réorthographié ?? On voit bien la stupidité de cet acharnement discriminatoire ! Il est grand temps que la Constitution et les directives qui en découlent s’adaptent aux réalités de la vie en France.

Il est surtout grand temps que les langues régionales, dites « patrimoine de la France » par cette même Constitution soient pleinement et entièrement reconnues dans tous leurs droits !

À suivre. •

Fabiana Giovannini.

 

* Déclaration faite dans Midi-Libre.

** Son utilisation est allée au-delà de ce qui était prévu. François 1er voulait asseoir la primauté de la langue française sur le latin en matière de justice. De ce fait, l’Ordonnance royale de Villers-Cotterêts impose que tous les textes administratifs et judiciaires soient écrits « en langage maternel français et non autrement ». Les langues régionales ont souffert de cette décision car le centralisme linguistique s’est imposé et a servi la guerre que d’aucuns menaient contre les langues régionales. De même que, près de cinq siècles plus tard, le fameux article 2 de la Constitution française, qui n’avait pas vocation à lutter contre les langues régionales mais contre l’anglais, ne sert aujourd’hui qu’à combattre les langues régionales. C’est tout le malheur de nos langues pourchassées par l’archaïsme jacobin.