Le combat pour les langues régionales et minoritaires doit faire face à un nouveau front, celui de la présence sur Internet et dans l’environnement digital. Depuis 20 ans, le développement des réseaux sociaux révolutionne le rapport entre les citoyens et les médias, et, sans une présence sur le net, une langue sera vouée à la marginalisation. Basques et catalans sont précurseurs en ce domaine, et ils sont venus présenter au Parlement européen, devant l’intergroupe Traditions nationales et langues minoritaires, le résultat très probant de leur investissement sur ce sujet crucial pour l’avenir.
Catalan : un coup gagnant avec Google
Une dizaine d’associations de la société civile catalane, des Baléares et du Pays Valencien se sont regroupées au sein d’une « Alliance pour la présence dans le monde digital du catalan », avec le soutien du gouvernement de la Generalitat.
Le catalan est certes une langue très répandue : 10 millions de locuteurs (neuvième langue la plus parlée d’Europe, au même rang que le tchèque, le grec, le portugais ou le danois), et elle est traditionnellement bien en avance face aux évolutions du web.
Cette « alliance catalane » a observé l’évolution de la présence du catalan sur le web selon plusieurs approches, plateformes audiovisuelles, applications pour les mobiles, les algorithmes, les applications domestiques, les médias sociaux et les contenus sur le web.
Ces observations ont détecté un problème grave avec Google. À compter de la mi-2022, les usagers catalans du web ont remarqué que, même si leur appareil était configuré pour donner la priorité à la langue catalane, ce sont des contenus en espagnol qui leur étaient proposés par le moteur de recherche, quand bien même le sujet demandé était formulé en catalan ou par un mot identique au catalan et au castillan.
Le nouvel algorithme de Google menaçait donc la visibilité du catalan sur internet où les usagers ont accès à des contenus via les moteurs de recherche.
Face à cette discrimination, ils ont mis en œuvre une stratégie en quatre points : documenter le phénomène de façon objective, en se basant sur des données, et non sur une perception subjective ; identifier les interlocuteurs techniques appropriés dans les centres de recherche des compagnies du web ; coopération directe avec eux pour trouver une issue ; évaluation des effets de chaque modification obtenue.
Pour recueillir des données incontestables, ils se sont mis en rapport avec plus de 600 producteurs de contenus en catalan, dans le monde économique, les administrations et universités, les médias, etc., afin de bâtir une référence basée sur une année d’observations. Cela leur a permis de mettre en évidence une chute spectaculaire, de l’ordre des deux tiers, du trafic vers les versions catalanes des sites entre janvier et décembre 2021. 80 % du trafic ainsi détourné était allé vers des sites en castillan. Et cela quelles qu’aient été les préférences affichées par l’internaute en faveur du catalan.
Ces données ont été transmises en juin 2023 au gouvernement catalan, qui les avaient commandées, et aux centres de recherche de Google et de Microsoft. Ces derniers ont apporté un grand intérêt à la question : « nous avons éveillé leur attention sur une question qu’ils n’avaient pas encore prise en compte. »
Fin août 2023, Google modifia ses algorithmes et les usagers commencèrent à ressentir les effets de ces modifications. Le 8 septembre Google officialisa sa démarche par une publication sur les réseaux sociaux.
Les résultats sont spectaculaires : avant les modifications par Google, que ce soit dans le top 10 ou le top 3 (dont wikipedia) des recherches lancées par les internautes pour avoir accès à des contenus internet, les sites proposés en catalan étaient bien moins nombreux que ceux proposés en castillan. Après les modifications, ils étaient presque équivalents dans le top 10, et les sites en catalans étaient davantage proposés pour les recherches du top 3. Cette tendance s’est stabilisée depuis.
Fière de ce résultat probant, l’Alliance pour la présence dans le monde digital du catalan, fundacio.cat, s’investit pour assurer le suivi de la situation du catalan sur le net, et il veut s’impliquer pour aider d’autres langues à franchir les obstacles du net grâce à l’expérience qu’ils ont acquise.
Euskadi : un observatoire de la langue sur le net
La Fondation « Puntu.eus » a développé l’observatoire de langue basque sur le net. Cette initiative « a soulevé nos préoccupations quant à une discrimination perçue à l’encontre des langues minoritaires, notamment le basque, à travers les algorithmes des moteurs de recherches principaux, particulièrement Google. »
Il a été créé l’extension « .eus » pour les sites ayant un contenu important en euskara, et contribuant à la promotion du Pays Basque et de sa culture.
Régulièrement, la fondation basque « puntu.eus » suit les évolutions de deux critères : le développement des domaines en « .eus » ; le statut de la langue basque sur le net.
Comme en Catalogne, les basques ont mis en évidence une discrimination manifeste à l’encontre du basque par les moteurs de recherche, favorisant l’espagnol. Par exemple, en lançant la recherche sur le mot-clef « j’accuse » en référence à Emile Zola, l’internaute basque reçoit plus souvent la page wikipedia en espagnol alors qu’elle existe également en basque. Conséquence : perte de visibilité de l’euskara, baisse du nombre de visites pour les sites rédigés en basque, et usage préférentiel de wikipédia en espagnol plutôt qu’en basque par les étudiants et les académies.
Ce 11 septembre 2023, la fondation basque a saisi à son tour les ingénieurs de Google, qui ont affirmé leur intention de mieux traiter les langues comme le basque. Les résultats ont été rapides et une recherche par un mot-clef basque, ou autre non espagnol, renvoie désormais à 80 % vers un contenu en langue basque, quand le ratio était d’à peine 45 % avant.
Mais cela reste insuffisant car les autres services offerts par Google continuent d’ignorer la langue basque, tels que Google Ads pour les publicités, y compris sur les sites basques, Google Chrome (73 % du marché) et Advanced Search (96 % du marché), moteur de recherche très utilisé notamment par les universitaires.
Derrière ces combats se jouent des défis considérables. Ces technologies nous envahissent toujours plus, à travers les interconnections et le pilotage des appareils de notre vie courante. L’environnement digital nous amènera à prévoir le déclenchement d’un appareil électroménager, l’animation d’un jouet, éclairer la télévision, ou la lumière, etc., par la voix. Que deviendrons nos langues si cet environnement est réservé aux langues dominantes ?
C’est tout l’enjeu de l’action menée par les catalans et les basques, et que chaque langue minoritaire doit rejoindre. •
François Alfonsi.
L’Europe doit accorder un statut officiel à ses langues historiques !
Le 19 octobre dernier, en réunion de la commission des Affaires constitutionnelles (AFCO) du Parlement européen, François Alfonsi a interpellé le secrétaire d’État espagnol, M. Pascual Ignacio Navarro Rios sur la reconnaissance des langues basque, catalane et galicienne. Pour l’eurodéputé de la Corse, l’Europe doit accorder un statut officiel à ses langues historiques. Voici l’échange.
«Le 24 octobre prochain, le Conseil aura à se prononcer, sur proposition de la Présidence espagnole, sur l’octroi du statut de langue officielle de l’Union européenne au catalan, puis au basque et au galicien.
Au nom de mon groupe, je souhaite remercier l’Espagne de prendre une telle initiative qui met fin à l’exclusion de plusieurs langues européennes historiques qui sont privées d’une reconnaissance par l’Union européenne alors que certaines sont parlées par des millions d’européens.
Cet exemple donné pour le respect de la diversité linguistique et culturelle de l’Europe est en phase avec la devise énoncée dans les Traités : « L’unité dans la diversité ». En tant que membre de la commission des Affaires constitutionnelles, je salue cette initiative.
Cet exemple est aussi politiquement le bienvenu à l’heure où l’Europe envisage un futur élargissement notamment vers l’Ukraine et les Balkans ; là où la question du respect des minorités sera essentielle pour réussir. »
La réponse du secrétaire d’État espagnol, M. Navarro Rios
« Pour ce qui est de la question de M. Alfonsi, je voudrais lui répondre, c’est vrai que c’était une proposition de l’Espagne que l’on introduise dans le régime linguistique de l’Union européenne les autres langues officielles de notre pays. Je le remercie de ses paroles, c’est vrai que c’est à l’ordre du jour du Conseil, affaires générales. » •