Prisonniers politiques

Le long chemin de croix

“Ce qui manque jusqu’à aujourd’hui c’est la reconnaissance claire par l’État de la dimension fondamentalement politique du processus “

a déclaré le président du Conseil Exécutif, Gilles Simeoni, devant l’Assemblée de Corse (ici) . Il n’est de question plus emblématique pour l’illustrer que celle du sort des prisonniers politiques.

La demande de Alain Ferrandi de levée du statut de DPS (détenu par ticulièrement signalé), tout comme pour Yvan Colonna, risque bien d’être à nouveau injustement refusée. La décision a été mise en délibéré, mais le rapporteur public du Conseil d’État en a demandé le rejet.

C’est profondément injuste pour plusieurs raisons. Il y a une incongruité à maintenir le statut de DPS tout au long de la peine d’un détenu quel qu’il soit. Or, Alain Ferrandi, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, sans peine de sûreté, suite à l’assassinat du préfet Claude Erignac, tout comme Pierre Alessandri, condamné à la même peine, a purgé une période de 18 ans. En droit français, il est donc libérable.

C’est-à-dire qu’un juge de la détention peut prononcer sa libération conditionnelle pour effectuer la fin de sa peine hors de prison, moyennant des aménagements judiciaires. Ceci, afin de permettre aux condamnés de se réinsérer dans la société. C’est impossible avec un statut de DPS. Ce statut est donc utilisé comme un verrou politique pour empêcher l’application du droit pour Alain Ferrandi.

Injuste aussi et non conforme au droit car le statut de DPS vise la criminalité organisée ou les mouvances terroristes et est lié « au risque d’évasion et à l’intensité de l’atteinte à l’ordre public que celle-ci pourrait engendrer ainsi qu’au comportement particulièrement violent en détention de certains détenus ».

Pourquoi Alain Ferrandi risquerait-il de s’évader alors qu’il a purgé la plus grande partie de sa peine et qu’il est aujourd’hui conditionnable ? Sa libération ne serait en rien un trouble à l’ordre public, bien au contraire, dans l’aspiration à l’apaisement de toute la société corse, elle serait vécue comme une page que l’on tourne enfin après vingt ans de suspicion et d’opprobre jetées sur l’ensemble du peuple corse par tout l’appareil d’État. Alain Ferrandi n’est lié à aucune «mouvance terroriste », l’acte qui lui a été reproché ainsi qu’aux autres détenus dans l’affaire Erignac a été qualifié comme en marge de toute mouvance clandestine ou publique. Enfin, depuis trois ans, le FLNC a décrété la fin de la violence clandestine et plus aucun attentat politique n’a eu lieu.

Quant à son comportement en prison, comme celui des autres détenus dans l’affaire Erignac, il est exemplaire et ne souffre d’aucune critique de la part de l’administration pénitentiaire. Rien donc, ne justifie le maintien du statut de DPS.

Celui-ci a des conséquences sur la détention. Fouilles incessantes, surveillance renforcée, y compris lors de visites médicales, réveil la nuit, obstacles aux activités, contrôle renforcé des correspondances, écrites ou téléphoniques etc. Il est aussi invoqué contre le rapprochement. Injustice supplémentaire, en parfaite contradiction avec le droit encore une fois. Depuis deux ans, tout comme Pierre Alessandri, Alain Ferrandi demande son rapprochement à la prison de Borgu. Le statut de DPS y fait obstacle, alors que des détenus fichés «S», particulièrement dangereux et associal, y sont incarcérés.

La réalité, c’est que le sort réservé aux détenus nationalistes corses est politique, sans que l’État et son administration judiciaire leur reconnaissent ce statut de détenus politiques.

Depuis le 6 février 1998, l’État est en guerre contre la Corse et les Corses, jugé « peuple préféticide ». Cette attitude revencharde, scandaleuse, indigne d’un État dit démocratique, qui a transparu jusque dans les propos d’Emmanuel Macron lors du discours de Bastia, ferme toutes les portes pour les prisonniers, mais aussi toutes les portes d’une sortie politique apaisée pour la Corse. A lotta cuntinueghja.

Fabiana Giovannini.

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