par Max Simeoni

Continuer, c’est créer

Max Simeoni était persuadé que seul un grand parti démocratique permettrait au peuple corse d’arracher sa survie. Au lendemain d’Aleria, avec la dissolution de l’ARC, le peuple est orphelin. Les militants créent alors l’Associu di i Patriotti Corsi. Dans ARRITTI du 29 janvier 1976, son leader délivre un message qui résonne toujours…

 

 

L’Associu di i Patriotti Corsi est née, l’an­nonce en a été faite dans une conférence de presse le dimanche 26 janvier au Beau Rivage à Toga, par maître Marcel Bartoli de Bastia, entouré de Jean-Baptiste Bartoli et d’André Fazi du Fiumorbu.

Le Baptême a lieu à la « Clé des Chants » le dimanche suivant 1er février prochain.

Les co-auteurs de cette initiative de lance­ment sont François Rocchi di Corti, Joseph Fieschi de Prupià, Laurent Ristori et Henri Filippi d’Aiacciu. Tous ont accepté à la demande expresse d’amis autonomistes. Ils l’ont fait avec simplicité. Ils ont dû taire leur modestie pour accepter en militants conscients une mission qui leur paraissait indispensable. Ils ont donc assumé comme on dit. Grâce leur soit rendue.

Ainsi la preuve est faite que l’(ex)-ARC a bien oeuvré et qu’elle est un réservoir d’hommes capables. Elle a su assurer dans ce domaine aussi la possibilité de continuer.

Cette création est nécessaire pour ne pas commettre par « omission » une faute grave contre la cause corse. Elle arrive à son heure. Après Aleria, 5 mois se sont écoulés, et le vide politique de la dissolution de l’ARC n’a pas été comblé. Les troupes et les idées de l’(ex)-ARC n’ont pas pu être récupérées, ni uti­lisées.

Cela veut dire que de ceux qui existaient, hommes et organisations, aucun ni aucune n’était apte à pouvoir le faire, ni dans les partis classiques, ni dans la famille autono­miste.

Leur analyse, tout simplement, correspondait mieux aux réalités du terrain, et leurs choix tactiques se sont révélés plus exactes. Leur collégialité toute difficile était plus large, plus forte que celle des autres. Dès lors ils purent appliquer le principe de conduite politique suivant lequel il vaut mieux avoir tort tous ensemble, que raison tout seul, parce que tous ensemble on se trompe moins sou­vent, et lorsqu’on fait une erreur on la rattrape plus aisément. Il n’existe de force politique durable que dans l’organisation collective du groupe, et la collégialité est le meilleur moyen d’assurer la cohésion au-delà des difficultés dues aux caractères des hommes, et des circonstances difficiles. La collégia­lité de l’ex-ARC a permis aux prix de beau­coup de patience de durer, de travailler, de progresser et de former des hommes. Elle a aussi permis de ne pas freiner le rôle de ceux qui pouvaient avoir des capacités de leaders, issus du groupe et rendant compte sans cesse, et soumis à la même discipline. Elle a domestiqué l’influence personnelle pour la mettre au service du mouvement. En Corse c’est un exploit vue la tendance à l’émiettement et à l’opposition des per­sonnes.

Cette création devra se faire en dévelop­pant constamment chez les militants et les sympathisants trois qualités :

– L’idéal qui gonfle le coeur et transcende l’être.

– La volonté farouche d’aboutir, la volonté jusqu’au sacrifice. Le combat du Peuple Corse ne peut pas être facile. Si le Peuple Corse devra mériter sa liberté, a plus forte raison ceux qui prétendent lui ouvrir le chemin devront être les premiers à donner l’exemple.

– Mais le coeur et la volonté ne sauraient suffire. Il faut aussi rechercher sans relâche la lucidité froide dans l’analyse constante des données de l’action. Ce qui implique jugement de l’adversaire, de ne jamais le sous-estimer et de bien le connaître, pour bien évaluer le rapport des forces, pour bien choisir les créneaux possibles de l’Action et éviter l’attitude doctrinaire, apanage des faibles ou des imbéciles, de bien calculer le risque pour ne pas compromettre les mou­vements qui ne sont que des outils élaborés pour servir la cause, et surtout de savoir en tout et toujours préserver la cause elle-même quoiqu’il arrive aux hommes et à leurs orga­nisations.

À la limite savoir même les sacrifier pour préserver dans la suite les chances de la cause. Mais ce sacrifice ne saurait passer par la confusion, le trouble, l’innocence agres­sive. Il se doit d’être clair et assumé volon­tairement. Il doit être le témoignage d’une foi. Aleria est le type même du sacrifice utile.

Qui pourrait nier que ce sont là les caracté­ristiques essentielles du succès de l’(ex)-ARC ? Elles devraient continuer à animer les militants de l’APC.

Mais l’APC si elle devra continuer dans cette voie, devra aussi créer. Il lui faudra tenir compte de la situation nouvelle après Aléria, du préfet Corse, des barbouzes, de la Cour de Sûreté de l’État, bref du contexte répressif qui a trop troublé l’esprit des Corses. Il faudra analyser le devenir des mouvements clan­destins, leurs difficultés et leurs limites au moment où Ghjustizia Paolina se met en roue libre, démasquer la provocation à la « guerre civile ».

L’APC devra développer la force tranquille du cric mais aussi être capable de changer de vitesse. Le cric est nécessaire pour la sensi­bilisation, l’explication, l’information, l’édu­cation et la rééducation des esprits corses. C’est une priorité, une nécessité constante, une action indispensable. C’est une faute irréparable de la négliger.

Comme l’(ex)-ARC, l’APC devra garder sa vocation à rassembler pour le combat prio­ritaire de la survie du Peuple Corse, les Corses quel que soit leur passé ou leur appartenance du jour. Il sera le lieu du ras­semblement maximum populaire et rédemp­teur par excellence des Corses aliénés.

Il devra comme l’(ex)-ARC faire la démons­tration qu’il est capable de déplacer les foules corses mieux que qui que ce soit a pu le faire à ce jour.

L’APC a donc été créé pour continuer. Mais continuer c’est s’adapter, c’est créer ou recréer sans cesse. La fixité immuable, la rigidité complète, n’existent que dans les nécropoles ou les musées c’est-à-dire dans les temples de la mort.

Le Peuple Corse vit. Il n’est que malade.

L’APC est fait pour sa convalescence. L’APC chercher la guérison définitive et solide dans une révolution totale qui consiste à passer du colonialisme actuel dangereux à la recon­naissance du Peuple Corse par le moyen de l’autonomie interne.

L’APC saura avoir la hauteur de vue, le sens et la fierté de sa mission, et les portes de l’avenir ne tarderont plus à s’ouvrir.

J’en ai la conviction profonde au point de devoir freiner la joie qui l’accompagne.

Evviva a Corsica !