par François Joseph Negroni
Le monde bascule, il n’y a plus de place pour le doute. L’élection de Donald Trump n’est qu’une validation supplémentaire de la mutation du monde en trois blocs de pensée bien distincts. Quels sont-ils ? Comment s’affirmer avec des idéaux clairs et non-populistes dans ce monde dont la mutation profonde est déjà enclenchée ?
Nous ne reviendrons plus en arrière, c’est une certitude, et le monde tel que nous le connaissons est en train de livrer ses dernières armes. L’intelligence artificielle, les réseaux sociaux et le numérique ont pris un virage définitif. Le monde va tourner autour de cela. La démocratie va tourner autour de cela. L’économie va tourner autour de cela. Le piège se déclenche.
Il est aujourd’hui impensable pour une puissance mondiale de ne pas faire d’efforts considérables dans l’intelligence artificielle pour prendre le leadership de ce marché. Et il est malheureusement impossible de faire autrement. Car si l’Europe abandonne l’intelligence artificielle pour des raisons rationnelles de pollution ou d’éthique, d’autres s’en empareront à leur manière. Le piège se referme. Cependant, il est difficile d’imaginer l’émergence des GAFAM de demain en Europe avec la lourdeur administrative, le manque de liberté d’innovation, les taxes et les contraintes. Il faudrait simplifier les normes pour permettre à l’Europe de faire naître le Google, le Facebook ou le Tesla de demain. Nous sommes pris au piège.
L’Europe, en régulateur du monde, est ainsi pris en étau entre la puissance américaine et la puissance chinoise. Certains pays membres de l’Union européenne sont prêts à sacrifier leurs intérêts au profit de l’une ou l’autre de ces puissances, au détriment de l’unité entre les États membres. Le danger réside alors dans le délitement de l’Union européenne, au profit de pays ne regardant que leurs intérêts propres.
La puissance américaine : un libéral-libertarisme anti-État
Les dernières élections ont engagé les États-Unis dans une dynamique nouvelle, une nouvelle forme de puissance et de domination, bien éloignée du premier mandat Trump. Cette nouvelle ère est marquée par un virage libéral d’exclusion, où l’individu prime sur toute forme de citoyenneté. Il n’y a plus de dynamique collective, mais bien un individualisme formaté, où les plus riches s’en sortiront définitivement mieux que les plus pauvres.
Avec un message populiste, les classes sociales s’effritent sous l’apparence d’un discours libertaire : « Vous êtes libres de faire comme bon vous semble, de travailler, de réussir et de devenir riches. » Mais dans les faits, cela s’avère largement contraint, car un pays libertaire est un pays de la loi du plus fort.
Dans les États-Unis de Trump, le seul regroupement d’individus dans un semblant de collectif est lié à une dynamique d’exclusion : chacun pour soi, mais ensemble pour désigner ceux qui, en raison de leur sexe, de leur genre ou de leur couleur de peau, « ne sont pas de la partie ».
La puissance chinoise : l’empire du contrôle
La Chine, à l’inverse des États-Unis, a compris que contrôler la population était la condition sine qua non d’une montée en puissance vers une domination mondiale claire et sans contestation possible.
En Chine, l’individu ne compte pas. Ce qui importe, c’est le résultat, la puissance chinoise. L’Homme est ainsi dépossédé au profit de quelque chose qui le dépasse, quelque chose qui justifie tous les sacrifices. Une sorte de religion s’est instaurée au sein de la population envers l’empire chinois, sous contrainte. Un monde orwellien où « La liberté, c’est l’esclavage et l’ignorance, c’est la force. »
Le piège de Thucydide
En relations internationales, le piège de Thucydide désigne la stratégie d’une puissance dominante qui entre en conflit avec une puissance émergente par peur d’être dépassée. Ce concept trouve son origine dans la guerre du Péloponnèse, causée par l’ascension d’Athènes et la peur qu’elle inspirait à Sparte.
Ce schéma se répète dans l’Histoire, et la relation entre les États-Unis et la Chine semble prendre une direction similaire. Les premières tensions géopolitiques – notamment autour de Taïwan – et commerciales – comme la pression exercée sur TikTok – confirment ces craintes. Ainsi, la position de l’Europe dans ce conflit est majeur et changera le cours de l’Histoire du monde.
L’Europe dans tout cela ?
Avec son passé colonial, son expérience des guerres destructrices et son influence sur le monde d’aujourd’hui, l’Europe doit se recentrer sur son idéal premier : remettre le citoyen au cœur du jeu. Non pas l’individu, ni la masse, mais bien le citoyen.
Contrairement à l’individu, le citoyen est considéré du point de vue de ses droits politiques. La démocratie et le droit doivent ainsi être au cœur de la puissance européenne, sans jamais dévier. Il est inacceptable de défendre un message de liberté d’expression où l’on peut être raciste ou non, antisémite ou non, comme on peut l’entendre aux Etats-Unis. L’Europe doit être la garante du droit, des libertés individuelles et collectives, et de la démocratie. Un entrepreneur étranger contrôlant des élections en Europe devrait scandaliser tout démocrate. Et lorsque l’extrême droite, qui prône la souveraineté, se réjouit de l’ingérence d’un étranger sur la démocratie européenne, cela montre qu’elle n’a aucune vision, si ce n’est celle de céder au populisme.
Cependant, l’Europe ne pourra jamais montrer la voie si elle n’est pas exemplaire. Elle ne pourra l’être que lorsque les idéaux qu’elle se doit de défendre seront pleinement acquis. C’est pourquoi l’autonomie de la Corse, par exemple, doit être un droit, non une décision prise à la majorité des trois cinquièmes du Parlement français. Un droit, car le peuple a voté. Un droit, car la démocratie l’a porté.
Une Europe indépendante et dominante est une Europe qui respecte ses peuples et leurs aspirations, à commencer par le droit à l’autodétermination. Je crois en l’Europe, parce que je crois profondément en l’avenir de la Corse. •