Processus de paix dans le cadre de l’Union européenne

Exemples de la Corse, de la Catalogne et du Pays Basque

Un débat animé par Lorena Lopez de Lacalle, présidente de l’ALE, avec François Alfonsi, président de R&PS membre de Femu a Corsica, ancien député européen ALE, Meritxell Serret, ministre des Affaires extérieures et de l’Union européenne du gouvernement Aragones en Catalogne, Igor Zulaika Zurimenti, membre du Parlement basque, responsable des relations internationales EH Bildu, Anaïz Funosas, présidente de Bake Bidea.

 

François Alfonsi a introduit le débat avec l’historique de 60 années de luttes en Corse, des évènements d’Aleria au processus de Beauvau et le contexte qui y a conduit, la forte progression confirmée sur plusieurs scrutins du mouvement national, le climat insurectionnel, notamment de la jeunesse, après l’assassinat en prison d’Yvan Colonna.

L’accord est signé, engageant l’État, et repose sur une réforme constitutionnelle reconnaissant le peuple corse à travers la définition d’une « communauté historique, linguistique, culturelle ayant développé un lien singulier à sa terre », et un statut d’autonomie dans le cadre d’une loi organique à négocier. C’est une avancée mais aujourd’hui il n’y a plus d’interlocuteur à Paris. Quel gouvernement débouchera de cette nouvelle mandature législative, pour quelles suites données aux accords de Beauvau ? Avec quelle majorité favorable ? Les incertitudes pèsent et nombre de problèmes ne sont pas réglés, notamment concernant les anciens prisonniers (fichages, amendes). « Il faudra que le futur gouvernement soit acteur de la mise en œuvre de l’accord. »

 

Meritxell Serret pour la Catalogne a évoqué le référendum pour l’indépendance du 1er octobre 2017, les suites répressives et l’énorme frustration qui en résulte. « La société catalane a changé avec l’émergence d’une extrême-droite, la société est plus diverse depuis 10-15 ans. » Catalunya compte 8 M d’habitants dont 40 % de citoyens entre 29-40 ans nés dans un autre pays. Et la précarité augmente : « il y a besoin d’adaptation du mouvement indépendantiste ». Heureusement le dialogue a repris en 2019, et les négociations bien que gênées par la criminalisation constante du mouvement indépendantiste, ont débouché sur la libération de prisonniers, et surtout la réforme du code pénale et la loi d’amnistie. Cette loi très importante, approuvée par les partis espagnols, a renforcé la légitimité du mouvement catalan. Mais les juges espagnols font tout pour retarder son application. Ce qui oblige à faire appel à la Cour constitutionnelle et sa mise en œuvre demandera du temps…

Pour Meritxell Serret, il y a besoin de revoir la stratégie de référendum du mouvement indépendantiste et retrouver plus de cohésion au sein de la société catalane. Une des clés : la langue et la culture, instruments de la cohésion comme elles l’ont été dans les années 50-60. « On veut l’indépendance mais on la veut de manière démocratique et assumée par le peuple catalan ».

 

Igor Zulaika Zurimenti et Anaïz Funosas pour le Pays Basque détaillent la philosophie de l’action de la gauche indépendantiste pour arriver au processus de paix par le dialogue « entre protagonistes mais aussi avec les gens de notre pays ». « Il faut marcher ensemble, faire les choses avec patience ».

« Notre pouvoir démocratique peut servir à changer les choses ». Il y a encore 130 prisonniers politiques malgré les avancées mais « avec pragmatisme, le train avance ». Mais « combien de personnes y montent ? ça sert ou pas ? C’est cette façon de chercher des solutions qui nous a permis d’avancer. La capacité de chercher des solutions stratégiques pour nos revendications mais aussi pour notre pays ».

La reprise du processus armé, la répression, les arrestations, les persécutions, la criminalisation a créé un malaise mais aussi une adhésion aux revendications, du centre droit au mouvement indépendantiste des ponts se construisent, avec la conscience d’un conflit politique. Des discussions tous azimuts ont conduit aux accords d’Aiete le 17 octobre 2011, « déclic dans la société » qui a redonné confiance et enjoint les États, français et espagnol, à régler le conflit. Cette reconnaissance du conflit au Nord comme au Sud a fait progresser le processus. « Ou on continue à taper contre le mur, ou on met tous les élus politiques en capacité de se mobiliser avec la société civile pour avancer » se sont dit les élus. Forums, décisions, pédagogie, manifestations se sont succédés. Les États refusent le dialogue d’Aiete, mais au Nord on s’est substitué à l’État français, explique Anaïz Funesas. Société civile et élus ont pris leurs responsabilités pour mener à bien le désarmement d’ETA et s’imposer à Paris, en se donnant une feuille de route au-delà des partis et des intérêts partisans. « Elle a été proposée à Paris en vain, mais pour nous c’est un accord politique et nous prenons le temps de construire les consensus ». Désarmement, acceptation de la libération des prisonniers et de leur droit à vivre dignement à leur sortie (Fijait, etc.) : « on a été la périphérie nécessaire pour qu’au Sud les choses avancent aussi, avec des victimes des deux camps qui ont été exemplaires ».

C’est une nouvelle culture politique qui permet d’avancer, y compris électoralement.

 

Et l’Europe dans tout ça ? Elle a un rôle à jouer à travers le Conseil de l’Europe, le Parlement, la Cour européenne de Justice, avec qui il est possible de bâtir des solutions.

« On ne peut pas être un problème, on doit être la solution. L’UE s’est ça son objectif. Et la bonne question est qu’est-ce qu’on doit faire pour qu’elle fasse quelque chose ? » affirme Igor Zulaika Zurimenti.

« La logique de l’UE est de ne pas avoir d’ingérence envers les États. C’est aussi la logique idéologique de certains groupes, notamment le Partit Populaire… Notre ambition à nous c’est de devenir un État, on doit donc avoir toujours en tête cette logique des problèmes des États, pour se présenter comme une solution et pas comme un problème » explique à son tour Meritxeli Serret, « il y a un conflit démocratique, politique, et nous sommes l’acteur qui veut contribuer à la solution ». Devenir de plus en plus crédibles, chercher des contacts, bâtir des réseaux d’interlocuteurs dans les différents partis, dans chaque pays : « Se montrer comme un partenaire fiable… gagner des espaces pour avoir la parole, au parlement, à la Commission. Construire des alliances contre l’extrême-droite avec les partis politiques des différents pays. Devenir un acteur au niveau européen, qui soit respecté, et capable de revendiquer pour sa lutte mais aussi de partager les luttes nécessaires aux autres pays. »

François Alfonsi présente la démarche du Caucus self-determination mise en route par les députés ALE et plusieurs eurodéputés de différents partis durant sa mandature. Objectif : mettre en place un cadre politique européen favorisant le dialogue et la négociation, permettant de poser clairement le problème pour répondre aux millions de personnes qui ont défilé et qui ont voté en Catalogne ou aux peuples qui s’expriment en faveur de l’indépendance.

« Grâce au soutien d’experts universitaires, le Caucus a transformé ces préoccupations politiques en texte juridique, en puisant dans les traités les éléments de langage, et en permettant d’ériger ces principes en processus politique ». Ces experts ont analysé l’actualité (référendum écossais, brexit, situation catalane etc) avec une seule boussole européenne, le dialogue, la préservation des droits fondamentaux de tous, et le respect démocratique.

Faire avancer ce mécanisme de résolution des conflits doit être une priorité des institutions européennes pour préserver la paix et la démocratie en Europe. L’ALE continuera de s’y employer, a affirmé sa présidente Lorena Lopez de Lacalle.

 

Le Congrès R&PS a conclu ses journées d’échanges par des débats politiques sur les enjeux à venir et la crise politique à Paris. « Pour R&PS, la progression du Rassemblement nationale, même si elle a été contenue au second tour des législatives, est un sujet de préoccupation majeure. Elle fait écho à une tendance européenne, mais elle a pris en France une résonnance particulière, d’abord aux élections européennes, puis législatives. L’échec politique d’Emmanuel Macron et de son gouvernement est patent et ne peut être ignoré. Il devra en être pris acte au sommet de l’État. Le bloc de gauche formé par le Nouveau front populaire constitue le principal bloc mais ne suffit pas à créer les conditions d’une cohabitation claire. Face à ce paysage politique éclaté, les composantes et les élus de R&PS se battront pour mettre à l’agenda des prochains mois les dossiers les plus importants » (lire en p.6). Les débats de l’Université d’été témoignent de l’importance de conserver le cap de ses valeurs et de ses revendications pour R&PS, au premier rang desquels la solidarité qui unit tous ses membres. •

F.G.