Les événements sanglants du mois dernier en Nouvelle Calédonie ont exprimé le rejet massif des choix faits par l’État en Kanaky, en rupture totale avec la logique de dialogue qui avait été instaurée par les accords de Matignon négociés sous Michel Rocard. Nouvel épisode de ce choix politique délibéré : l’arrestation et la déportation à Paris des principaux dirigeants de la mobilisation Kanak.
Christian Tein, le porte-parole du Comité de Coordination des Actions de Terrain, a été incarcéré le 22 juin dernier à la prison de Mulhouse, à 17.000 km de son domicile, de sa famille et de ses avocats. Avec lui, six autres responsables du CCAT ont été « déportés » en métropole, et dispatchés dans des prisons différentes en France. Cette décision du procureur de la République, soi-disant prise « en raison de la sensibilité de la procédure », est en fait éminemment politique. Elle participe à la mise en place d’une stratégie de long terme pour mettre au pas le territoire et faire taire ses projets d’indépendance.
Le point de départ de cette orientation délibérément répressive contre les Kanaks a été la décision de maintenir coûte que coûte le troisième referendum prévu par les accords de Nouméa, malgré l’épidémie Covid en cours et malgré la demande expresse de son report par les Kanaks encore sous le coup du choc sanitaire. La tenue en décembre 2021 de ce troisième referendum prévu par les accords de Matignon et de Nouméa a créé les conditions d’une nouvelle crise politique profonde.
Ce scrutin a en effet été une aberration, puisqu’il est la base juridique désormais mise en avant pour refuser l’indépendance de la Nouvelle Calédonie au nom d’un vote issu des populations non originaires du territoire, sans qu’aucun autochtone n’ait participé à la décision. De la sorte, la France a atteint le comble de l’anti-démocratie en matière d’autodétermination, l’avenir du peuple kanak étant délibérément mis entre les mains des non-Kanak !
Emmanuel Macron a ensuite tendu la perche aux représentants politiques des forces anti-indépendantistes en leur assurant les principaux postes de responsabilité, tel que Sonia Backès devenue ministre dans le gouvernement d’Elisabeth Borne.
Pour parachever l’assimilation forcée du territoire, une réforme constitutionnelle a été engagée visant à modifier en profondeur le corps électoral qui avait été défini lors des accords de Matignon, afin d’y introduire une vague nouvelle de colons venus, depuis une génération, s’installer sur le Territoire.
Votée à l’Assemblée nationale et au Sénat, cette réforme constitutionnelle engagée par Emmanuel Macron a été bloquée avant son inscription à un prochain Congrès à Versailles par les émeutes sanglantes qu’elle a provoquées à Nouméa et sur tout le territoire, faisant huit morts parmi les manifestants et les policiers. D’abord suspendu, le processus de révision de la Constitution a été ensuite abandonné pour tenter de faire retomber les tensions survenues. Mais, sur le terrain, les barrages insurrectionnels ont continué, et la vie économique reste paralysée. D’où le nouveau tour de vis répressif contre la direction de terrain du mouvement indépendantiste.
Le FLNKS a installé sa résistance dans la durée et il continue sa stratégie de barrages mobiles qui maintiennent la pression. Selon des sources confirmées, plus de 150 policiers ont été victimes de blessures, 1.200 gardes à vue ont été menées, des dizaines de tonnes de munitions ont été approvisionnées par la police sur le territoire, 20 % des effectifs totaux des CRS français sont là-bas, et 60 % des effectifs des unités spécialisées dans les violences urbaines campent à Nouméa. Or, de potentielles situations tendues sont attendues en métropole, en lien avec le second tour des élections si le Rassemblement national confirme sa victoire du premier tour, ou encore pour assurer la sécurité des futurs Jeux Olympiques. Une telle profusion de moyens ne pourra donc être maintenue là-bas, alors que la situation reste toujours hors de contrôle.
En Nouvelle Calédonie, rien n’avance dans le sens d’un climat plus apaisé : les trois négociateurs officiels nommés par le gouvernement ont dû quitter le territoire, et, depuis, la situation politique a pris une nouvelle tournure avec l’avènement programmé d’une majorité d’extrême-droite à l’Assemblée nationale, le RN étant réputé pour ses positions alignées sur les forces extrémistes les plus anti-kanak du territoire.
En Kanaky, l’État français s’est jeté dans une impasse mortifère. •