Le combat d’un peuple pour son émancipation s’inscrit dans la durée. A fortiori lorsque ce peuple se bat pour la reconnaissance de ses droits face à un État centraliste, négateur des identités. C’est alors que cette négation semblait avoir accompli son œuvre de destruction que, au début des années 60, la conscience nationale du peuple corse se réveille à nouveau avec la naissance du nationalisme contemporain. ARRITTI nait à ce moment précis des premiers pas d’une revendication qui ne cessera de s’amplifier jusqu’à nos jours. Le premier numéro paraît le 8 décembre 1966. Votre hebdomadaire, cari amichi lettori, fête aussi son anniversaire en ce mois de décembre !
Le combat du peuple corse est historique. Sa conscience nationale a connu son apogée au XVIIIe siècle avec les révolutions de Corse. D’abord sous Ghjacintu Paoli, l’un des trois généraux de la jeune nation corse, placée alors sous la protection de la Vierge Marie, Reine de Corse, dont la date de l’Immaculée conception, le 8 décembre, fut choisie pour célébrer chaque année la nation, et l’un des chants qui lui était dédié, u Diu Vi Salvi Regina, fut déclaré hymne national. Puis sous Pasquale Paoli, son fils, proclamé Babbu di a Pàtria en 1755, et son œuvre immense accompli aux siècles des lumières, alors que l’ensemble des États vivaient sous le joug des royautés absolues. Il marqua l’histoire par l’instauration d’une toute première constitution démocratique, avec séparation des pouvoirs, droit de vote, y compris aux femmes chefs de famille, création d’une université pour former la jeunesse, d’une monnaie, d’une marine, instauration d’une justice… Il fallut la puissante armée du Roi de France pour venir à bout en 1769 de cette belle démocratie naissante qui émerveilla les grands penseurs de l’époque. C’était il y a un peu plus de 250 ans. Ce passé prestigieux était enfoui dans la mémoire populaire au début des années 70, lorsque s’éveilla à nouveau la conscience nationale des Corses. C’est à ce moment-là, que naît ARRITTI, le 8 décembre 1966 sous l’impulsion de jeunes Corses, de retour de leurs études sur le Continent où ils purent constater à quel point la Corse était méprisée par l’État, abandonnée à son sous-développement et sa jeunesse condamnée à l’exil. Les premières protestations se font entendre, vie chère, train, problèmes agricoles, vignette automobile… Au début, rien de très politique, juste une plainte. « C’était un cri qui disait : nous sommes les enfants abandonnés du foyer français. Ce n’était pas une analyse politique des réelles causes, des rapports du jacobinisme avec la Corse dans le contexte de l’époque avec la décolonisation d’ailleurs. Beaucoup de Corses qui rentraient, étaient très surpris de voir qu’on continuait dans l’empire perdu à ouvrir des routes, à faire des hôpitaux et des écoles, alors qu’en Corse on ne faisait rien », commentait Max Simeoni auprès de notre confrère France 3 Via Stella, lors de notre anniversaire des 50 ans d’Arritti, il y a 7 ans, pour décrire ce contexte du début des années 60 qui le conduisit avec quelques amis à fonder l’hebdomadaire.
« On s’est lancé, on a sorti d’ailleurs un petit opuscule en 1964, le Manifeste du CEDIC, Comité d’études et de défense des intérêts de la Corse, dans lequel on défendait “l’ethnie corse”. Toute la problématique d’aujourd’hui était déjà décrite dans ce document où on tirait les leçons des échecs des mouvements passés » poursuit Max Simeoni. « Nous n’étions pas pris en compte dans la presse, engagée dans des combats claniques et des politiques nationaux, droite et gauche, pour ou contre De Gaulle. Et donc il fallait qu’on se fasse entendre. Déduction logique, on s’est dit : il nous faut notre journal. Je voulais un quotidien, mais ça n’était pas possible, il fallait aligner des centaines de millions, en francs anciens mais c’était déjà beaucoup. Je me suis contenté d’un hebdomadaire ! »
Il s’agissait de travailler à la conscientisaiton du peuple corse, « le journal sert à préparer les esprits… il apporte des arguments à nos militants qui sont mieux armés pour diffuser nos idées, en faire la pédagogie… à convaincre et adjoindre plus de gens » dit encore Max Simeoni.
56 ans plus tard, ARRITTI a tenu son rôle.
Et malgré bien des agressions, il est toujours là, debout ! Il a subi les attentats barbouzes du préfet Riolacci et de Francia, l’incendie criminel de son imprimerie militante et la disparition de ses archives en 1977. Il a dû se battre pour faire reconnaître ses droits de presse à travers l’attribution qui lui était refusé du numéro de Commission paritaire des publications et agences de presse, qui ouvre le possible envoi du journal aux abonnés. Il a subi les agressions régulières dans l’histoire pour tenter de lui enlever des moyens financiers auxquels il pouvait prétendre, par l’habilitation à faire paraître des annonces légales ou judiciaires. Encore l’an dernier, il a été clairement menacé sur ce pilier de financement. Et cette année, les services préfectoraux semblent de nouveau lui chercher noise… Malgré cela il s’est inscrit dans la durée, s’est modernisé, a accompagné toutes les luttes du peuple corse depuis cinq décennies, a posé des débats cruciaux, pour la langue, pour l’économie, pour l’environnement. Il a continuellement besoin de vous, amichi lettori. Cuntinuate à sustèneci, truvate novi abbunati, sparghjite u settimanale, lighjìtelu, è fàtelu leghje ! Cù voi, cù u vostru sustegnu, dèmuci appuntamentu pè i 60 anni ! •