La cartographie des Espaces Stratégiques Agricoles du Padduc vient d’être annulée sur plainte de Sociétés Civiles Immobilières et de communes du Sud de la Corse et de Balagne (une vingtaine de plaignants), c’est-à-dire des territoires les plus exposés à la spéculation foncière et immobilière.
Les conséquences de cette décision sont graves. Les vannes de la constructibilité sur ces espaces sensibles sont de nouveau ouvertes. Sans volonté politique ferme, la Corse n’est pas prête d’atteindre son objectif d’autonomie alimentaire à l’horizon 2040 et va perdre encore des milliers d’hectares d’espaces stratégiques agricoles ! Explication.
« Si la cartographie des ESA devait de nouveau être annulée, le Padduc se retrouverait à nouveau sans carte opposable, c’est-à-dire dans une situation de permissivité sur nos plus belles terres agricoles. Quid de notre volonté d’atteindre l’autonomie alimentaire ? » Ainsi commentait Arritti il y a trois semaines, après la demande du rapporteur public du Tribunal administratif, le 8 avril dernier, d’annuler une nouvelle fois la carte des ESA du Padduc. Hélas, le Tribunal l’a suivi dans sa demande et ces terres sont donc de nouveau exposées à leur artificialisation.
Sur quoi se fonde le tribunal pour annuler cette cartographie ? Celle-ci avait été une première fois annulée en 2018, pour défaut d’information du public car deux cartographies sensiblement différentes avaient circulé durant l’enquête publique en 2015 (sic). La Collectivité a alors saisi l’occasion de devoir représenter au vote de l’Assemblée de Corse sa cartographie des ESA, pour consulter les maires et retirer de ces espaces les zones qui avaient été jusqu’ici artificialisées. Ainsi la nouvelle cartographie ne comportait plus 105.000 hectares d’ESA mais 101.000 hectares. Une perte de 4.000 hectares, rien que ça ! De plus, la Collectivité a souhaité à cette occasion clarifier la question de la pente de 15 % qui était interprétée jusqu’ici de diverses façons. Et notamment par le Tribunal administratif lors de l’examen de Plans locaux d’urbanisme attaqués par les associations de défense de l’environnement. Les critères de définition des ESA sont pourtant clairement exposés au livret règlementaire du Padduc. Ils reposent sur la potentialité agronomique du sol et le critère de pente n’est pas prépondérant.
S’il est pris en compte pour certaines cultures une pente inférieure à 15 %, en réalité, la valeur agronomique des espaces est le critère essentiel pour définir les ESA, quelle que soit la pente, y compris supèrieure à 15 %.
La nouvelle cartographie adoptée le 5 novembre 2020 a donc fait un renvoi au livret règlementaire qui confirme ce principe.
Compte tenu de cette modification de forme, le Tribunal Administratif, dans sa décision du vendredi 29 avril 2022, estime que l’adoption de la nouvelle cartographie aurait dû s’opérer dans le cadre d’une procédure de révision du Padduc, et non d’une simple modification. D’autant que cette référence qui touche à un critère d’exclusion est intervenue après enquête publique, au moment de l’examen par l’Assemblée de Corse de la nouvelle cartographie d’une part, d’autre part qu’elle n’a pas été débattue préalablement en commission permanente de cette même Assemblée. Un défaut de fonctionnement qui coûte cher… La Collectivité n’a certainement pas jugé utile de le faire, du fait qu’il s’agissait d’une modification de forme (simple rappel des critères de définition des ESA qui avaient déjà été adoptés avec le Padduc en décembre 2015). Mais c’était sans se soucier des jurisprudences du Tribunal administratif intervenues depuis l’adoption du Padduc !
Le Tribunal en effet, au grand désespoir des associations de défense de l’environnement qui n’ont pas cessé de le dénoncer, n’a pas appliqué dans diverses décisions précédentes ce critère dans toute sa plénitude, considérant qu’au-delà de 15 % les espaces n’étaient pas des ESA. On peut regretter que la Collectivité de Corse n’ait pas fait appel de ces décisions. Mais c’est ainsi. De fait, elle a acté cette possibilité de remise en cause des ESA en n’allant pas les défendre systématiquement. Et voilà à quoi tient l’application d’une loi !
Résultat : depuis 2015, les ESA sont régulièrement grignotées et le resteront encore tant que cette clarification ne sera pas faite.
Ne croyez pas qu’il s’agit là d’un tout petit grignotage sur lequel on peut fermer les yeux… Il faudrait chiffrer, mais mis bout à bout, il s’agit de plusieurs milliers d’hectares d’espaces stratégiques agricoles qui sont menacés.
Alors, comment réparer ? Le Tribunal demande une révision du Padduc qui, au rythme des débats actuels de la société corse, prendra plusieurs mois voire plusieurs années car elle devrait inclure des évaluations et des modifications qui toucheront probablement aussi à d’autres domaines de révision. La solution la plus censée serait pour la Collectivité de Corse de se pourvoir en appel (ce qu’a confirmé le président de l’Agence d’aménagement d’urbanisme et d’énergie de la Corse, Julien Paolini) et de s’armer de toute sa force de persuasion pour faire comprendre ce qui a prévalu aux critères de définition des ESA. Le fait aussi que ces critères ont été adoptés en décembre 2015 et que les rappeler dans le cadre de la cartographie des ESA n’est pas motif à engager une révision du Padduc. Enfin, il y a nécessité, surtout, de rappeler les enjeux qui sont considérables en termes de développement agricole à bâtir, d’installation de jeunes agriculteurs et de construction de notre autonomie alimentaire.
La Collectivité de Corse doit suivre également les associations dans leurs demandes répétées au Conseil Exécutif d’attaquer les documents d’urbanismes ou permis en infraction avec le Padduc. Une action systématique en justice serait symboliquement très forte et assurément dissuasive.
En attendant, à l’heure où, en France, une nouvelle loi « Climat et Résilience » a été adoptée le 22 août 2021 pour lutter contre l’artificialisation des sols, notre île continue à artificialiser régulièrement ses espaces les plus sensibles.
Rappelons que cette loi « Climat et Résilience » impose de diviser par deux l’artificialisation pour les 10 prochaines années, pour atteindre un niveau de 0 % d’artificialisation en 2050 !* La Corse qui se rêvait « pôle d’excellence écologique » acceptera-t-elle de son côté de continuer à bétonner son littoral, ses espaces naturels sensibles, et ses espaces stratégiques agricoles ? •
Fabiana Giovannini.
* Avec obligation d’inscrire aux documents de planification que sont les Schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet), mais aussi pour le Padduc en Corse, pour les PLU et autres projets d’aménagement stratégique annexés aux Scot. La Collectivité de Corse serait bien inspirée de s’en emparer au plus vite !