Jean Félix Acquaviva

« Le changement démocratique initié en 2015 doit se poursuivre »

Au lendemain du scrutin législatif, et de la création d’un nouveau groupe représentant les territoires au Palais Bourbon, à quelques jours aussi de l’ouverture de négociations sur l’autonomie de la Corse à Paris, Arritti interroge Jean-Félix Acquaviva, député de la seconde circonscription de Haute-Corse et principal artisan de l’action des députés nationalistes corses à l’assemblée nationale. Les enjeux de la rentrée sont cruciaux, d’autant qu’une communication du FLNC s’est depuis invitée dans le débat*.

 

 

Encore un très bon résultat pour le nationalisme corse lors de l’élection législative, et ce malgré les divisions. Il a même failli réussir le grand chelem avec un score très prometteur dans la première circonscription d’Aiacciu… quelles analyses tirez-vous globalement de ce scrutin ?

D’une part, un constat d’enracinement de la démarche portée par le président de l’Executif, par Femu a Corsica et Fà Populu Inseme, qui s’inscrit enfin dans la durée suite à la course d’obstacles des élections successives depuis 2015.

D’autre part, un vote nationaliste global très satisfaisant avec un vote patriotique de second tour à saluer de la part du mouvement Core in Fronte, mais aussi de militants nationalistes à titre individuel d’autres structures qui pourtant sont restés silencieuses ou ont appelé à ne pas voter les candidats du nationalisme au second tour.

Enfin il faut constater une coalition de groupes et lobbys contre-nature de portée politique, économique, voire autre, qui ont tout fait pour me faire chuter dans la 2e circonscription, utilisant visiblement tous les moyens lorsque l’on s’attarde sur les listes d’émargement de certaines communes. Cela est édifiant. Cette coalition éphémère a échoué. Elle avait pour seul moteur, une logique de pouvoir et économique. Pas un projet de société qui met en son cœur le seul intérêt général du peuple corse. Cela prouve que le changement démocratique initié en 2015 doit se poursuivre en s’enracinant définitivement dans les territoires face à ces baronnies politiques et économiques dignes d’un autre âge.

 

Vous entamez votre second mandat, avec la composition d’un nouveau groupe des territoires, malgré plusieurs membres du groupe précédent qui n’ont pas été réélus, est-ce un signe supplémentaire d’une grande aspiration au changement dans les différents territoires ?

Nous avons recréé le groupe à partir du noyau des députés du groupe Libertés et Territoires de la précédente législature. Les différentes synergies et convergences que nous avons créées ont fait connaître nos valeurs autour de la défense des libertés fondamentales et surtout des territoires et notamment de l’autonomie de la Corse et des territoires d’Outremer. Ce corpus d’idées a permis à 5 députés de territoires d’Outremer de nous rejoindre ainsi que les députés du groupe UDI qui n’ont pas pu cette fois-ci créer un groupe faute de députés suffisants. La dimension territoriale et la décentralisation étaient effectivement les grands manquants du premier quinquennat Macron. Nous sommes décidés à faire résonner cette voix durant cette nouvelle législature, alliés à d’autres territoires aux mêmes aspirations.

 

Présentez-nous ce nouveau groupe. Quels sont les points d’équilibres trouvés parmi ces députés venus d’horizons différents ?

Outre le partage de valeurs communes comme la défense des libertés fondamentales et individuelles, le progrès social ou encore une vision décentralisée de la République, la particularité de cette nouvelle législature dans laquelle le Président de la République n’a pas la majorité absolue comme précédemment nous oblige à nous réunir pour mieux peser et faire passer nos idées fondamentales. Le Gouvernement aura, à un moment ou à un autre, besoin de nous pour faire adopter certains de ses textes importants. Nous sommes prêts au dialogue à condition que nos propositions soient réellement reprises, notamment sur la Corse. Nous aurons avec les autres députés du groupe une capacité de négociations avec le gouvernement beaucoup plus importante qu’elle ne l’était auparavant.

 

Quels seront vos priorités lors de cette mandature ? Pour la Corse ? Pour les régions et peuples solidaires que vous représentez également ?

Il sera très important de mener à bien la commission d’enquête parlementaire pour faire toute la lumière sur le terrible assassinat d’Yvan Colonna. Trop de zones d’ombre planent encore sur cette affaire que les enquêtes administrative et judiciaire ne pourront éclaircir.

Il y a dès cette semaine l’examen du texte sur le pouvoir d’achat durant lequel nous défendrons des mesures spécifiques pour la Corse afin de pallier au différentiel de prix que nous avons avec le continent, intrinsèque à l’insularité et aux coûts qu’elle engendre. Ce texte constitue un premier test pour le gouvernement. Pour jauger de sa capacité à prouver par des actes la prise en compte des demandes du Conseil Exécutif de Corse, de l’Assemblée de Corse et des parlementaires que nous sommes.

Nous continuerons à défendre sans relâche davantage de pouvoirs législatifs et règlementaires pour la Corse, et de responsabilités en faveur des territoires pour mieux gérer les problématiques du quotidien face à cette recentralisation désuète et inefficace, vers davantage de transferts de compétences, vers une autonomie financière fiscale des collectivités… La reconnaissance du peuple corse et la défense de la langue demeurent bien évidemment aussi et plus que jamais au cœur de notre combat.

 

Les négociations avec Paris pour l’autonomie de la Corse reprennent enfin, mais avec un contexte peut-être moins favorable, compte tenu d’une majorité relative du Président de la République… votre rôle au Palais Bourbon s’annonce d’autant plus essentiel ?

Notre rôle au Palais Bourbon est en effet fondamental avec les autres élus de la Corse, et en tout premier lieu l’Exécutif et son président Gilles Simeoni, pour la simple et bonne raison que le futur statut d’autonomie de la Corse que nous appelons de nos vœux devra passer par l’examen du Parlement. Nous serons au cœur des débats pour peser et porter la voix démocratique de la représentation corse.

 

Les attentes sont fortes aussi au niveau du quotidien des Corses, beaucoup ont exprimé des déceptions lors de ce scrutin législatif. Comment comptez-vous répondre aux urgences, regagner cette confiance un peu perdue ?

Des déceptions ont pu naitre et c’est normal dans une démocratie qui vit. Nous savons que les attentes des Corses sont grandes, mais la tâche est immense, on ne peut pas reconstruire un pays en 7 ans qui a de surcroit pris certaines habitudes et réflexes difficiles à changer. Il faut rappeler, bien que ceci puisse faire grincer les dents de certains, qu’il a fallu éponger un gros déficit lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités. Je rajouterai aussi que l’État n’a pas été un partenaire respectueux du suffrage universel dans tous les dossiers de développement des infrastructures, privilégiant d’autres interlocuteurs que le président du Conseil exécutif. La fusion des collectivités, qui était nécessaire, n’a pu se faire en un mois. Des ajustements sont encore nécessaires pour gagner en efficacité. Cela étant, nous poursuivons notre travail avec détermination, éthique et transparence pour faire changer cette société en profondeur malgré les réticences rencontrées.

 

Il y a quatre mois, la Corse s’embrasait dans des combats de rues réclamant « ghjustizia è verità ». Où en sommes-nous aujourd’hui des commissions d’enquêtes autour de l’assassinat d’Yvan Colonna ? Que comptez-vous faire pour obtenir cette justice et cette vérité ?

Nous allons utiliser ce que l’on appelle le droit de tirage annuel de notre groupe pour la création d’une commission d’enquête. Le prochain est au mois d’octobre (à raison d’une commission d’enquête par session ordinaire). Nous sommes en train de déposer officiellement à l’Assemblée nationale une proposition de résolution qui est la première étape du processus. Nous espérons et pensons que les premiers travaux qui dureront six mois commenceront rapidement dans le courant du mois d’octobre. Nous ne lâcherons rien.

 

Les militants se sentent en marge des enjeux. Or le combat du terrain est aussi essentiel que celui des instances où l’on siège. Comment préparez-vous la rentrée et la remobilisation des militants ?

À mon niveau de parlementaire et de conseiller territorial, puisque je ne suis plus secrétaire national du parti Femu a Corsica, j’œuvrerai pour la mise en place d’une discussion dans les instances du parti, en lien aussi avec le goupe Fà Populu Inseme de l’Assemblée de Corse. Un plan d’actions d’investissement du terrain global devra en résulter car l’action institutionnelle doit avoir pour complément nécessaire une action résolue en enracinant notre politique dans la société. Au premier rang des enjeux immédiats, à titre d’exemple : la corsophonisation active, sans attendre ; la lutte contre la spéculation immobilière et pour le droit au logement et à la maîtrise du foncier ; la lutte contre la précarité et la pauvreté ; l’autonomie alimentaire ; le changement de paradigme au niveau touristique ; la lutte contre les agressions environnementales, pour une économie circulaire… •

 

* Interview réalisée avant la communication du FLNC.