Le 11 mars dernier devant le Tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence, Maître Paul Sollacaro réclamait, avec l’accord des avocats de l’ensemble des prévenus d’une affaire de trafic de drogues, le renvoi du procès de son client en le disjoignant de l’affaire, compte tenu que son client « cas contact » à la Covid19 ne pouvait se présenter au Tribunal. Devant le refus incompréhensible du Président, l’avocat annonce que son client (qui comparaît libre) se présentera dans ce cas à l’audience, car il encourt une peine de 20 ans de prison et veut s’expliquer. Le Président annonce qu’il lui interdira l’entrée du Tribunal et intime l’ordre à l’avocat de se taire. Le ton monte, le Président demande aux gendarmes présents d’expulser l’avocat de la salle d’audience. Maître Paul Sollacaro appelle la présence du Bâtonnier mais il est tout de même éjecté manu militari de la salle de justice, « comme un voyou », lui-même ainsi que l’ensemble des avocats qui s’étaient interposés. Avocats bousculés, robes déchirées, Maître Paul Sollacaro a porté plainte pour « violences aggravées » contre le Président du Tribunal correctionnel, Marc Rivet, et contre les gendarmes qui l’ont maltraité en pleine salle d’audience. À la reprise de l’audience, malgré y compris la demande de renvoi du procès du Procureur de la République, malgré l’absence de l’ensemble des avocats des prévenus, et sous les sarcasmes du président du Tribunal et ses insultes à l’encontre du Bâtonnier d’Aix-en-Provence présent pour demander le renvoi, le procès reprend dans des conditions folles qui ne garantissent pas l’exercice serein de la justice.
L’ensemble des barreaux de France ont dénoncé cette violence et les atteintes aux droits de la défense. Le Barreau de Paris, le Conseil National des Barreaux et la Conférence des Bâtonniers ont adressé une lettre ouverte au Garde des Sceaux.
« Monsieur le Garde des Sceaux,
Nous souhaitons porter à votre attention l’inquiétude extrême de tous les avocats de France à la suite de l’incident inadmissible survenu jeudi 11 mars à l’audience du Tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence : le président du Tribunal a refusé de renvoyer le dossier d’un prévenu atteint de la Covid19, qui encourait 20 ans d’emprisonnement et dans le même temps refusé qu’il assiste à son procès.
L’avocat du prévenu, Maître Paul Sollacaro, a été expulsé de la salle d’audience par les forces de l’ordre, sur ordre du président du Tribunal, alors même qu’il exerçait légitimement les droits de la défense de son client, dans la confusion la plus totale et une violence allant jusqu’à déchirer les robes de confrères présents, s’opposant à cette ineptie.
Les témoignages recueillis montrent en outre un mépris manifeste à l’encontre de la profession d’avocat. Le président n’a même pas jugé utile de se concerter avec le Tribunal pour rejeter la demande conjointe du Ministère Public et de tous les avocats des parties à ce procès de renvoyer l’affaire à une audience ultérieure. Les droits de la défense sont fondamentaux pour assurer une équité indispensable à l’œuvre de la justice : faut-il encore le rappeler ?
Les propos inadmissibles qui ont été tenus à l’encontre de notre profession – le président indiquant notamment aux prévenus qu’ils feraient mieux d’être jugés sans avocat – tout comme la poursuite de l’audience par les interrogatoires des prévenus sans leurs avocats, sont des violations manifestes des droits de la défense. Ces agissements sont indignes de notre institution.
Le comportement et les propos du président d’audience ainsi que le recours illégitime à la force contre des avocats dans l’exercice de leur métier sont tout aussi inacceptables.
Devons-nous encore rappeler que le pouvoir de police de l’audience qu’un président de Tribunal correctionnel tirer de l’article 401 du code de procédure pénale n’est pas un pouvoir arbitraire ? Il ne l’autorise en aucun cas à s’affranchir du respect des règles du procès équitable prévues par le code de procédure pénale et l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Est-il acceptable que le juge en oublie sa déontologie la plus élémentaire en s’abstenant de recourir au Bâtonnier en cas d’incident alors que les textes le lui imposent ?
Le juge doit veiller au respect de l’exercice des droits de la défense et au procès équitable en toutes circonstances et non les bafouer comme cela a pu être le cas à Aix-en-Provence.
Notre détermination est intacte à consolider les relations magistrats-avocats, qui concourent à l’œuvre de justice dans l’intérêt des citoyens. Mais cette œuvre de rapprochement que nous appelez, comme nous, de vos vœux, ne peut se réaliser au détriment des droits de la défense
Vous pouvez compter sur l’unité de la profession d’avocat pour ne rien laisser passer quant à l’exercice des droits de la Défense. Ce sujet c’est le vôtre, aussi, nous le savons bien, c’est pourquoi votre intervention est essentielle pour faire toute la lumière sur cet incident intolérable.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Garde des Sceaux, à l’assurance de notre haute considération,
La profession d’avocat unie. » •