Les fake news vont bon train, propagées par les groupes d’opposition, et relayées sans retenue par les médias, sur d’actuelles difficultés financières de la Collectivité de Corse. Ce n’est pas fondé au regard des comptes administratifs et des budgets successifs présentés par l’Exécutif et votés par l’Assemblée. Mais il n’en reste pas moins que chaque année un étau budgétaire vient contraindre un peu plus les ressources de la Collectivité de Corse, et il faudra y remédier en instaurant de nouveaux mécanismes de financement.
Une situation saine
La bonne santé d’une collectivité s’estime par l’épargne que son budget de fonctionnement dégage, à savoir l’excédent entre recettes et dépenses. Cette épargne permet ensuite de financer les investissements que la collectivité pourra engager. Sur environ 1.200 millions d’euros de recettes, l’épargne brute de la CdC est de 155 millions d’euros qui sont ainsi reversés au budget d’investissement.
Une fois payé le capital des emprunts en cours, il reste à la CdC un peu plus de 100 millions d’euros (« épargne nette ») pour financer de nouveaux investissements. S’y ajoute le Fonds de compensation de la TVA et diverses « recettes sectorielles », dont la contribution du PTIC de l’État aux investissements de la CdC, dont les subventions européennes, etc., pour plus de 150 millions d’euros. Et enfin un emprunt annuel de près de 120 millions d’euros est souscrit pour faire face au programme total d’investissements de près de 385 millions d’euros. Le chiffre de 120 millions d’emprunt nouveau envisagé pour 2024 est à relativiser puisque 50 millions environ seront remboursés durant la même année sur les emprunts anciens de la CdC.
Au 1er janvier 2024, le niveau de la dette de la CdC a fait beaucoup jaser car il a franchi la barre politiquement sensible et abondamment exploitée par l’opposition de 1.000 millions d’euros de dette (le fameux milliard d’euros !), la dette étant passée de 999 millions à 1.045 millions durant l’année 2023.
Mais les effets médiatiques sont trompeurs. Avec un ratio de désendettement de 5,82 ans, la dette de la CdC ne sort pas des clous des recommandations de bonne gestion admises pour les collectivités de la même strate, qui est de 5,5 ans en moyenne, avec une tolérance jusqu’à 8 ans.
Le boulet du gel de la Dotation de Continuité Territoriale
C’est en 2009 que l’État a décidé de geler la Dotation de Continuité Territoriale allouée à la Corse. Chaque année le même montant a été attribué depuis, 187 millions d’euros. Or, depuis 15 ans, l’inflation a été de 28,5 %, et la DCT devrait s’élever à 240 M€, soit 53 M€ de plus que la somme gelée en 2009. D’où la demande de « rallonge » de 50 M€ formulée par l’Exécutif et par les députés et sénateurs corses au Parlement.
Les premières années le gel a été peu sensible et l’Exécutif de l’époque a laissé filer d’autant plus facilement que l’abandon des subventions très excessives, sanctionnées par l’Europe, généreusement accordées par l’État à son ex-SNCM, ont donné une marge de manœuvre réelle. Mais les années passant, cette marge de manœuvre a fondu et désormais, cette non actualisation est comme un garrot qui chaque année étrangle un peu plus la Collectivité de Corse.
Un tournant a eu lieu en 2018, quand l’État a supprimé plusieurs dotations et recettes des départements et des régions (suppression de la taxe d’habitation, de l’ex-taxe professionnelle, etc.), et les a remplacées par une fraction de TVA accordées aux régions et départements. Désormais ces fractions de TVA représentent 50 % des recettes des autres régions françaises et 21 % des recettes des départements, soit une moyenne de 36 %, taux auquel la Collectivité de Corse, qui est une entité hybride département/région, devrait avoir droit. Or cette part de TVA n’est que de 21 % en Corse, car, alors que la loi de finances de 2017 avait acté l’inclusion de la Dotation de Continuité Territoriale dans le périmètre substitué par une part de TVA correspondante, la loi votée l’année suivante a fait machine arrière sur un amendement déposé par le gouvernement d’Edouard Philippe. Ça a été alors une mauvaise manière anti-corse bien caractéristique des premières années de la gouvernance Macron !
Depuis le bras de fer reprend chaque année pour que la Corse puisse équilibrer les comptes des DSP maritimes et aériennes, d’autant plus depuis 2022, le début de la guerre en Ukraine et la flambée des prix qui a suivi. Pour 2024, l’Assemblée Nationale a voté, et le gouvernement a accepté, via le 49-3, une rallonge de 40 M€. Mais pour 2025 rien n’est acquis, alors que les conditions de la continuité territoriale sont fixées contractuellement jusqu’à 2027. Le risque reste grand que le vote final soit défavorable à la Corse. C’est tout le budget 2025 de la CdC qui en serait chamboulé.
Des recettes spécifiques à l’avenir compromis
Ces recettes sont issues des statuts particuliers dont la Corse a bénéficié.
La première, en 1982, a été l’octroi à la Collectivité corse des droits sur les tabacs vendus sur l’île. Mais depuis quarante ans, les choses ont bien changé.
Si le nombre des fumeurs a été divisé par deux, il l’a été sous l’effet de l’augmentation continue, bien au-delà de l’inflation, des prix du tabac. Si bien que, l’un dans l’autre, la recette est restée stable à 150 M€/an. Mais, depuis 2019, le vent a tourné. En effet, une part consistante des ventes réalisées en Corse sont le fait des voyageurs qui achètent plusieurs cartouches à moindre coût (-25 % en Corse par rapport au continent) au moment de quitter l’île. Or cet écart de coût, condamné par l’Union européenne, et aussi par le corps médical insulaire qui déplore 25 % de cas de cancers du poumon en plus en Corse par rapport au continent, doit s’annuler entre 2022 et 2026, au rythme de 5 % par an. Ce « marché parallèle » est donc appelé à disparaître, et 2024 en donne la mesure : les recettes perdues par les moindres ventes sont compensées par l’augmentation de 10 % de la recette. Mais dès 2025 la Corse sera perdante, et en 2026 elle sera privée de cette « manne supplémentaire ». Sans compter que chaque année le nombre de fumeurs va continuer à décroître au rythme de l’augmentation des prix et des campagnes anti-tabac. Objectif : plus un seul nouveau fumeur en France à compter de 2030. La Corse ne peut plus assurer son avenir avec une telle ressource !
Autre recette autrefois jugée intéressante et désormais sujette à interrogation : l’attribution à la CdC de 29 % de la taxe sur la TICPE (taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques), essentiellement essence et gazole, perçue en Corse. Montant :
55 M€ par an, un tiers de la fiscalité sur les tabacs. Une bonne partie vient du tourisme, et la non distribution des carburants exonérés sur l’île (essence et gazole E85 avec un pourcentage plus élevé de biocarburants) en assure le rendement au détriment des touristes … et des Corses ! Mais l’arrivée, et la prochaine domination, des voitures électriques, va obligatoirement amoindrir année après année cette ressource qui est déjà stagnante.
Pour une négociation globale fondée sur une TVA majoritairement dévolue à la Corse
L’heure a donc sonné d’une refonte générale des ressources de la Collectivité de Corse. Dans le cadre des négociations du processus de Beauvau le sujet a été largement abordé et un consensus s’est dessiné. L’idée de base est de transférer ces financements divers sur un seul levier « autonome » : l’attribution à la Corse d’une fraction majoritaire de la TVA générée sur son sol. Elle sera alors directement responsable des décisions sur son périmètre, ses taux et ses modalités, qui seront choisis pour favoriser le développement économique, limiter le coût de la vie, et redistribuer la richesse produite sur l’île. La Collectivité de Corse serait alors sortie de la crise annoncée de ses finances publiques, et il s’agira là d’une « dévolution fiscale », un acte politique fort en vue de l’autonomie. •