Gilles Simeoni

« Un seul chemin m’intéresse, celui de la paix et de l’émancipation de ce pays »

En marge de cette première session de l’année de l’Assemblée de Corse, Gilles Simeoni répondait aux questions de notre confrère France 3 Via Stella. Interrogé par Dominique Moret, il a notamment donné des éclairages sur la situation du processus de discussions toujours en panne avec l’État. Extraits.

 

 

Gilles Simeoni : (…) J’ai été clair et constant dans mes positions depuis décembre 2015, et je vais le dire autour de trois points.

Premièrement, je suis persuadé que nous sommes aujourd’hui à un croisement, et que la Corse peut continuer à espérer aller vers le meilleur – le meilleur c’est la paix enracinée, c’est le développement économique et social, c’est l’émancipation politique et c’est un peuple reconnu dans son existence et dans ses droits. Comme elle peut ou elle risque aujourd’hui retourner vers le pire, et le pire c’est la logique de conflits, la défiance, et une société fragmentée, tiraillée, malmenée par les logiques de violences multiples.

Nous, cette deuxième option nous n’en voulons pas.

La deuxième chose, et je l’ai dit à Gérald Darmanin très clairement, il y a des conditions à remplir. Il y a d’abord l’exigence de justice, de vérité et d’application du droit. La justice et la vérité pour Yvan Colonna – vous avez vu ce qui se dit devant la Commission. (…) Toute personne objective aujourd’hui ne peut pas croire un instant à la théorie d’une succession de hasards ou à la fatalité. Ça c’est acquis, et j’espère et je souhaite, et nous souhaitons et nous voulons, que la suite des auditions – et notamment la levée du « secret défense » qui a été demandé par Jean Félix Acquaviva et Laurent Marcangeli – conduisent à savoir toute la vérité.

Deuxièmement, il y a le droit pour Alain Ferrandi et pour Pierre Alessandri. Des décisions sont attendues et elles sont essentielles, parce qu’elles sont l’exigence de justice, l’exigence d’équité, la semi-liberté, mais au-delà, la possibilité et la volonté, à Paris et en Corse, sans rien oublier du passé, d’écrire ensemble une page nouvelle.

Et le troisièmement, c’est se situer au bon niveau. Nous n’allons pas et nous ne retournerons pas à Paris pour uniquement une question technique. Nous ne pouvons pas aller à Paris – et j’en ai parlé aussi – dans une ambiance de pressions ou de rafles, y compris pour des responsables politiques de mouvements nationalistes ; par exemple Corsica Lìbera. L’apaisement se construit. Le retour à la violence politique, personne n’en veut. Et je continue à dire qu’il ne peut pas y avoir d’avenir sur ce chemin-là.

 

F3VS : Vous condamnez, si je comprends bien, les actes de violence qui ont été commis dernièrement, avec la structure FLNC, ou GCC ? Vous êtes dans la condamnation ou dans la compréhension ?

 

GS : Je ne suis ni dans la condamnation ni dans la compréhension. Je dis simplement que ce chemin-là il ne faut pas le prendre, parce que ce chemin-là ne conduit nulle part. Par contre, pour faire que des jeunes ou des moins jeunes n’aient pas la tentation de la violence, il faut renforcer et crédibiliser le suffrage universel, le fait démocratique. Le suffrage universel, le fait démocratique se sont exprimés en Corse. 70 % des Corses ont voté pour des listes nationalistes, il y a aujourd’hui la nécessité absolue que le gouvernement, le Président de la République, et l’État, disent haut et fort que cette solution politique doit être construite et qu’elle doit l’être dans les prochains mois. Lorsque ce feu vert aura été donné – et je l’espère, ce sera à travers les décisions de justice à intervenir, et à travers la volonté politique clairement exprimée du gouvernement, à un moment qui est à un carrefour – ce sera le temps de la poursuite du processus, et nous irons vers ce processus selon une méthode que j’ai proposée non seulement à l’ensemble des forces politiques, mais aussi à l’ensemble des forces vives.

 

F3VS : Il y a une date à venir, c’est le 6 février, l’anniversaire de l’assassinat du préfet Erignac. Ça fait 25 ans. On imagine difficilement une cérémonie comme il y en a chaque année, c’est une date symbolique, est-ce que Gérald Darmanin pourrait y participer – c’est ce que l’on entend – vous confirmez ou pas ?

 

GS : Je ne sais pas ce que fera Gérald Darmanin. Ce que je sais c’est qu’effectivement nous avons une succession de dates avec une forte connotation et une forte charge humaine, politique et symbolique. Le délibéré pour Pierre Alessandri le 31 janvier. Le délibéré pour Alain Ferrandi le 23 février. L’anniversaire de l’agression mortelle, l’assassinat, d’Yvan Colonna le 2 mars. Les auditions qui se poursuivent de la Commission d’enquête parlementaire, et le 6 février les 25 ans de l’assassinat du préfet Erignac. 25 ans, c’est une génération. Il y a plusieurs générations de Corses qui ont vécu dans le conflit, dans la souffrance, dans le deuil, dans les prisons. Nous ne voulons plus. Nous n’oublions rien du passé ni de ces douleurs, et des douleurs d’un côté et de l’autre, mais nous voulons aujourd’hui écrire une nouvelle page de l’Histoire de cette île et de ce peuple, dans une relation, enfin, de dialogue et de respect réciproques avec l’État.

 

F3VS : Vous avez tenu un propos assez nouveau concernant les interpellations qui se sont déroulées en décembre dans les rangs de Corsica Lìbera, vous avez employé le terme de « rafles » (…) C’est clairement un soutien à l’Exécutif de Corsica Lìbera, dont Charles Pieri est un membre, que faut-il comprendre ?

 

GS : Ma position elle a toujours été constante. Premièrement, je dis qu’il n’y a pas d’autres chemins pour la Corse que la démocratie. Il ne peut pas y avoir d’autres chemins. Et celles et ceux qui pensent ou laissent croire qu’il peut y avoir un avenir heureux ou une solution politique réussie à travers les bombes, les attentats, ou la violence clandestine, à mon avis font totalement fausse route. Je le dis de façon claire. Nous avons un certain nombre de désaccords avec d’autres nationalistes, et puis nous avons aussi des points de convergence. Ce que je dis c’est qu’à un moment donné un État, un gouvernement, lorsqu’ils choisissent une solution politique et une logique de dialogue, ils la traduisent et ils la déclinent dans toutes les dimensions. Et qu’aujourd’hui par exemple, pour être très clair, Charles Pieri est incarcéré pour une détention d’armes, Charles Pieri a un gros problème de santé, il y a un juge d’instruction, par expérience, je le sais, lorsqu’il y a une volonté d’appliquer de façon loyale les textes, ce genre de situation ne se traite pas par une détention provisoire. Donc le juge appréciera, mais le gouvernement aussi doit donner les signes d’une véritable volonté et ça permettra aussi de désamorcer la logique de violences qui est également dangereuse. La violence clandestine qui risque, et chaque fois ensuite nous sommes aux mêmes risques, avec des juges qui interprètent comme un trouble à l’ordre public, qui ne prononcent pas des remises en liberté, etc. Maintenant il faut dire stop, il faut dire le moment est venu du dialogue, de la paix, et de la construction de la solution politique.

 

F3VS : Vous avez évoqué une méthode de travail en trois points, l’autonomie, les moyens de la Collectivité et le projet. De quoi s’agit-il et pourquoi avoir attendu la suspension des discussions pour en venir à une méthode clairement affichée ?

 

GS : La méthode a toujours été affichée. Si vous reprenez les discours, y compris en 2015, ou en 2017, ou en 2021, j’ai dit il faut un dialogue large. Il faut une construction politique. Il faut un statut d’autonomie. Il faut des réponses dans le domaine économique, social, environnemental, culturel, sociétal. Il faut impliquer l’ensemble des nationalistes quels que soient nos désaccords. Il faut impliquer l’ensemble des forces politiques représentées au sein de l’assemblée. Il faut impliquer celles et ceux qui n’ont pas été représentés à l’assemblée…

 

F3VS : Ça vous l’avez dit plusieurs fois, mais en quoi est-ce nouveau aujourd’hui ?

 

GS : Trois thèmes. Premièrement, qu’est-ce que l’autonomie ? Pourquoi l’autonomie et comment elle se décline d’un point de vue de la révision constitutionnelle que nous attendons et de la loi organique. Deuxièmement, quelle traduction budgétaire et fiscale ? Nous avons des objectifs, aurons-nous les moyens financiers et budgétaires de les atteindre ? Et enfin, les réponses aux questions que se posent les Corses, une autonomie pourquoi faire ? Dans le domaine économique, social, culturel, en associant l’ensemble des forces vives (…) Nous nous sommes prêts. Nous sommes prêts pour toutes les discussions, qu’elles soient techniques, institutionnelles ou politiques. Mais que l’on créé l’espace qui permettent de les avoir.

 

F3VS : Vous avez évoqué lors des vœux des menaces, de quoi s’agit-il ? Est-ce qu’il y a une plainte déposée de votre part ?

 

GS : Non, je n’ai déposé aucune plainte. Je me suis exprimé pendant mes vœux, je n’ai rien à dire de plus à cela. Il y a un seul chemin qui m’intéresse. Celui de la paix et celui de l’émancipation de ce pays. Et de ce chemin là rien ni personne ne me fera dévier.

 

F3VS : En l’absence d’une explication claire sur cet élément est-ce qu’on ne peut pas vous taxer d’instrumentaliser l’opinion qui a été chauffée à blanc entre guillemets sur ces questions de mafia et de violence, pourquoi ne pas donner davantage d’explications ?

 

GS : Il y a un certain nombre d’éléments qui sont dans le débat public et qui sont connus de tous. Il y a des enquêtes en cours. Moi je ne suis pas policier, je ne suis pas juge. Il y a eu des attentats, y compris contre un élu de Femu a Corsica et ses associés, un travailleur honnête. Il y a eu des attentats y compris contre des proches, qui me concernent de très près. Je ne connais pas les motivations des auteurs. Je ne connais pas l’identité des auteurs. Je ne m’en préoccupe pas outre mesure, c’est le travail des services de police et de justice, moi je suis sur un chemin qui est uniquement politique : construire la paix, et construire l’émancipation de ce pays. •