Le 13 juillet 2013 à Aléria, lors d’un débat organisé par la Fondation de Corse, Edmond Simeoni plaidait en faveur de la non-violence. « La non-violence offre des possibilités inouïes pour agir concrètement » affirmait-il. Un an plus tard, le FLNC mettait fin à son action politique armée, ouvrant la voie à l’accession des nationalistes aux responsabilités. Toujours en 2014, évoquant le drame d’Aleria dont nous commémorerons le 45e anniversaire dans quelques jours, Edmond se confiait à la revue Alternative Non-Violente…
«Le choix, réfléchi, de la médecine comme profession puis son exercice m’ont appris à soigner, prévenir, apaiser et non pas à détruire. J’ai toujours eu une véritable allergie à l’injustice et à la violence. J’admire Gandhi, Luther King, Mandela, les personnalités humanistes comme mère Theresa, Saint François d’Assise, les savants comme Pasteur et pas les chefs de guerre comme Alexandre ou Napoléon.
Engagé depuis 1960, dans un dur combat contre la France et son État, j’ai pu mesurer le cynisme colonial, l’inégalité des forces, la négation de la démocratie, la sévérité de la répression à travers des justices d’exception et les attentats des polices parallèles de Francia — nous en avons subi 62 avec la bénédiction de la République française. A posteriori, j’ai mieux compris comment la France avait exploité et martyrisé les peuples colonisés au mépris de son auto-proclamation permanente de phare des libertés, de conscience universelle des droits de l’homme.
Je n’ai jamais confondu le peuple français avec l’État ; dès 1987, nourri de la recherche de solutions non-violentes, j’ai effectué mon autocritique — je n’ai pas suscité de vocations — et j’ai choisi le camp exclusif de l’action publique. (…)
La France a abandonné la Corse jusqu’en 1957. Puis, elle a mis en place deux sociétés d’économie mixte, la Somivac et la Setco qui ont été détournées de leur objectif et qui ont laissé le peuple corse sur le bord de la route. Depuis 1965, notre peuple a inauguré une période de résistance contemporaine. Aleria, en fait est le point d’affrontement inéluctable entre deux volontés féroces : celle du colonialisme français et celle du droit exacerbé à la vie et à la liberté de notre communauté. « Communauté de destin — Corses d’origine et Corses d’adoption », fondus dans la même entité nationale qui, à travers la diversité de ses enfants, a la volonté de vivre et de construire un avenir ensemble, dans le cadre euro-méditerranéen.
Après la conquête militaire de 1769, la France a utilisé la Corse comme un réservoir d’hommes pour ses guerres, sa fonction publique métropolitaine et coloniale ; la contestation s’est organisée, enracinée. Paris a fait la sourde oreille ; il a soutenu et enrichi l’adémocratie : fraudes électorales insensées ayant ruiné la démocratie et extrémisé la jeunesse, clientélisme honteux. La Justice, bafouée, est devenue le bras séculier du colonialisme. Les justices d’exception discréditent la France ; le procès Colonna a déconsidéré le fonctionnement policier et judiciaire français. Cela dépasse l’entendement.
La volonté de réprimer, de faire un exemple à Aléria a pris le pas sur la raison comme en atteste la mise en place d’un dispositif militaire surdimensionné : 1 200 gendarmes et policiers, huit hélicoptères Puma, un bateau de guerre, des engins blindés ; toutes les communications avec la cave dont nous avions pourtant précisé que l’occupation était temporaire, ont été coupées et nos multiples demandes de dialogue refusées. Paris a fait le choix de la force et de l’éradication définitive de la contestation insulaire; ils ont utilisé des armes automatiques, des fusils mitrailleurs ; un militant a eu un pied arraché par une grenade offensive ; il était hors de question de céder à la contrainte car, ayant raison et reculant devant l’arbitraire, nous aurions compromis à jamais la libération de notre terre.
Submergés par la force, en légitime défense, nous avons riposté ; deux jeunes gendarmes ont été tués et il y a eu de nombreux blessés. Dès lors, le mécanisme infernal s’est inévitablement enclenché : arrestations, répression, cour de Sûreté de l’État, affrontements tragiques de Bastia, naissance en 1976, du FLNC (Front de libération nationale de la Corse). (…)
J’ai beaucoup lu en prison et notamment des ouvrages relatifs à Gandhi, à Martin Luther King, et à la Shoah, mais aussi les biographies de grands leaders comme De Gaulle, Adenauer, Mao, Staline. Instructif et passionnant. On en sort vacciné contre la violence. Mes lectures sur la non-violence m’ont renforcé dans la conviction que l’on ne peut construire une société démocratique qu’avec les moyens de la démocratie, donc de la non-violence. Le choix des moyens non-violents (boycott, non-coopération, désobéissance civile, occupation de bâtiments publics…) n’est pas seulement d’ordre moral, mais aussi pour l’efficacité de l’action. Les moyens sont la fin en devenir. Ils permettent d’établir un rapport de forces propres à toutes les luttes non-violentes. La non-violence est inventive. À nous, Corses, de la développer dans nos justes combats. »