Inceste et violences sexuelles faites aux enfants

Combattre l’abominable réalité

Depuis trois ans, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE) sillonne la France, recueille des témoignages, enquête. Elle vient de rendre son rapport ce 17 novembre sous la présidence du juge pour enfants Edouard Durand et de Nathalie Mathieu, directrice générale de l’association Docteurs Bru*. Un rapport et ses 82 préconisations qui s’appuient sur plus de 30.000 témoignages de victimes et plus de 80 contributions d’experts, professionnels de l’enfance, de la justice, du soin, de la gendarmerie… « Les violences sexuelles faites aux enfants ne sont plus seulement une multitude d’expériences privées malheureuses, elles sont un problème collectif et public » dit la Ciivise pour qui « la lutte contre le déni doit être résolue et résonnante ». Le 20 novembre, journée internationale de l’enfant, elle donnait conférence à la Maison de la Radio. Enfin, le problème est posé de manière politique. Au gouvernement d’agir !

 

 

Mise en place par le gouvernement à l’initiative d’Adrien Taquet, alors secrétaire d’État chargé de l’Enfance et des Familles, cette commission est une première face au déni sociétal qui a prévalu jusqu’ici de ce crime contre ce qu’il y a de plus précieux à protéger dans l’humanité : l’innocence.

Elle vient à la suite de l’important travail également conduit par la Ciase, Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’église, présidé par Jean Marc Sauvé, vice-président honoraire du Conseil d’État.

 

Edouard Durand et Nathalie Mathieu

La Ciivise était en Corse le 25 mai dernier à Bastia et Arritti assistait à cette conférence très douloureuse par les témoignages qui s’y sont exprimés. En Corse aussi, des enfants et des adultes victimes dans leur enfance sont en souffrance. La Ciivise c’est l’écoute qu’ils attendaient, dans la phrase aussi tant espérée et rappelée dans l’intitulé de ce volumineux rapport : « Vous n’êtes plus seuls, on vous croit ». Une simple phrase qui rend une première justice, et c’est fondamental. « Croire le témoignage des victimes devenues adultes implique en effet de croire les enfants qui révèlent des violences sexuelles sans attendre qu’ils ne deviennent adultes. Le témoignage des adultes est un acte de protection des enfants ».

Durant des mois, la Ciivise est allée aux devants de ces témoignages. Une écoute qui a valeur de thérapie pour d’innombrables victimes. « 160.000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année, 5,4 millions de femmes et d’hommes adultes en ont été victimes dans leur enfance, l’impunité des agresseurs et l’absence de soutien social donné aux victimes coûtent 9,7 milliards d’euros chaque année en dépenses publiques. Les deux tiers de ce coût faramineux résultent des conséquences à long terme sur la santé des victimes. » C’est dire l’ampleur du fléau : un enfant est violé ou agressé toutes les trois minutes en France.

« La réalité, c’est d’abord le présent perpétuel de la souffrance » dit le rapport. « Les violences sexuelles ont des conséquences graves et durables sur la santé, la sécurité, l’existence tout entière de l’enfant victime » et de l’adulte détruit qu’il est devenu. Elles sont la cause de très nombreux suicides. 56 % des victimes développent des troubles alimentaires, 40 % des addictions à la drogue, aux médicaments ou à l’alcool, 13 % sombre dans la prostitution. « Le viol des enfants et notamment l’inceste sont la réalité la plus déniée de l’histoire de l’humanité » dénonce le juge Durand. « Il y a des personnes qui survivent, qui vivent avec une dignité admirable, qui ont pu subir pendant leur enfance 1000 viols ! Il y a des pédocriminels qui font jusqu’à 150 victimes ! 160.000 enfants victimes chaque année dans notre pays, et seulement 3 % des pédocriminels déclarés coupables. Ça s’appelle un système d’impunité » dit encore le juge Durand.

Aussi, parmi les préconisations, « il y a le fait que soient déclarés imprescriptibles le viol et les agressions sexuelles commis contre les enfants parce que le viol d’un enfant est la ligne de partage entre l’humanité et la bestialité. De nombreux pays ont déjà déclarés ces crimes imprescriptibles. La Suède, certains états des États Unis, un nombre très important du Conseil de l’Europe », plaide Edouard Durand.

 

Enquêteurs, victimes ou témoins, tous demandent à ce que la Ciivise perdure.

Elle devait répondre à deux objectifs : « 1/ Connaître et faire connaître l’ampleur des violences sexuelles faites aux enfants et leurs mécanismes et y sensibiliser la société ainsi que les professionnels au contact des enfants. 2/ Formuler des recommandations pour renforcer la culture de la prévention et de la protection dans les politiques publiques. » 

C’est chose faite avec ses 82 préconisations, mais surtout dans la confiance gagnée, et la parole qui s’est libérée pour tant de victimes. Car les victimes d’inceste ou de violence sexuelle, dont certaines le sont durant plusieurs années, « n’existe plus en tant que sujet humain ». L’inceste particulièrement est « un crime parfait » commis par la première personne censée protéger l’enfant et dont il est entièrement dépendant. « J’avais besoin qu’on me repère, qu’on me détecte, qu’on m’écoute » dira une victime.

« Les agresseurs bénéficient, sauf exceptions, d’une impunité totale. Les enfants victimes de violences sexuelles ne sont pas protégés et sont parfois obligés de vivre avec leur agresseur. Les adultes qui veulent protéger les enfants victimes de violences sexuelles font l’objet de menaces et de sanctions » judiciaires. La Ciivise les appelles « les mères en lutte » car ce sont souvent des femmes. Certaines font de la prison pour tenter d’empêcher que leur enfant ne soit remis au père agresseur…

Pour opérer le basculement de cette posture de déni à la protection réelle des enfants et à la lutte contre l’impunité des agresseurs, il faut « une politique publique » avec quatre axes principaux : « le repérage des enfants victimes, le traitement judiciaire, la réparation incluant le soin, la prévention. »

Tous les professionnels doivent être mieux formés, du gendarme ou policier, au médecin, au psychologue, à l’assistant social, au personnel de justice, au juge. Tous doivent travailler ensemble et œuvrer avec les associations. « Il faut des passerelles » dit un collectif bénévole de 120 avocats qui témoigne des murs qui se dressent dans l’administration pour « voir ce qui se passe au niveau de l’ASE » par exemple. Il faut protéger, aider les parents protecteurs, qui sont seules face à l’autre parent prédateur sexuel, protégé par le système judiciaire.

 

 

La Ciivise appelle à agir. « Un certain nombre de questions demandent des réponses claires et urgentes » a dit Nathalie Mathieu : « Quelle volonté politique va accompagner la mise en œuvre des préconisations de la Ciivise ? Quels moyens le gouvernement est-il prêt à engager pour une réelle protection des enfants ? Comment toutes les institutions vont-elles s’organiser pour revisiter leurs pratiques et se hisser à la hauteur des enjeux ? Comment la parole des enfants va-t-elle enfin être prise en compte et respectée dans toutes les procédures ? Comment les adultes protecteurs, parents et professionnels, vont-ils être eux-mêmes protégés de toute poursuite ? Les victimes vont-elles enfin pouvoir bénéficier d’un parcours de soins spécialisé en psycho-traumatisme ? Quand est-ce que les agresseurs vont pouvoir cesser de pouvoir dormir tranquillement sur leurs deux oreilles ? Je m’arrête là pour la liste mais on peut facilement la compléter, tout est dans notre rapport et ses 82 préconisations. Parce que ces préconisations posent clairement la question : quelle société voulons-nous pour nos enfants ? »

Les victimes veulent que cela cesse, que plus aucun enfant ne subisse ces violences et toutes leurs conséquences. « Vous êtes une force toutes et tous ensemble. Votre parole devient une parole politique » ont conclu Nathalie Mathieu et Edouard Durand. Merci à eux et à la Ciivise pour leur engagement. •

Fabiana Giovannini.

 

* Association qui développe et met en œuvre un dispositif d’accompagnement éducatif et thérapeutique pour les victimes d’inceste et de violences sexuelles intrafamiliales.

 

Pour consulter le rapport : www.ciivise.fr