Il y a deux ans, un terrible accident a failli coûter la vie à Maryline Taddei, en novembre 2019, mais lui a brisé les jambes pour un bon nombre d’années. Sa vie en a été bouleversée : multiples opérations et soins, quotidien concentré sur le combat pour retrouver l’usage de ses jambes, impossibilité de travailler (heureusement, fonctionnaire de l’éducation nationale, elle a conservé un salaire), mais aussi de conduire et de reprendre une vie normale, poursuites judiciaires suite à un prêt immobilier auquel elle n’a plus pu faire face, vie affective chamboulée, bref autant de difficultés et de souffrances face auxquelles elle s’est retrouvée seule. Malgré cela elle pense avant tout à ceux qui y ont laissé la vie ou qui supportent un handicap encore plus grave. Avec d’autres, elle a créé Cambià Avà, association qui lutte au nom de toutes les victimes de la divagation animale pour que les autorités s’emparent de ce fléau et prennent enfin conscience à la juste mesure de ses ravages.
Après un énième drame survenu sur la commune de Petrusella, d’une maman toujours dans le coma à l’hôpital d’Aiacciu, encornée à la tête sous les yeux de sa fille de 8 ans alors qu’elles se promenaient toutes deux paisiblement sur un sentier, Cambià Avà donnait une conférence de presse ce 4 février à Bastia. « Il en va de la sécurité des citoyens en Corse. C’est une question de santé publique. Sans compter que les vaches sont pour moitié, voire jusqu’à 80 % atteintes de tuberculose bovine selon les services vétérinaires de la DSV. Une maladie non seulement transmissible à tous les animaux de la faune sauvage mais aussi du cheptel d’élevage, et à l’homme. On a des cas de tuberculose dont on ne parle jamais ». Les membres de Cambià Avà ont du mal à contenir leur colère face à l’incurie des pouvoirs publics pour lutter contre ce fléau.
20 à 25.000 bovins sont en divagation en Corse
Des animaux qui ont perdu leur propriétaire, décédé ou ne pouvant plus s’en occuper, qui sont désormais ensauvagés, qui se sont reproduits et qui se retrouvent de plus en plus sur les routes, fauteurs d’accidents parfois très graves (se souvenir du regretté Claude Cesari, tué dans un accident avec un bovin en 2016), ou aux abords des villes et villages et se retrouvent pour y chercher de la nourriture. Les autorités se renvoient la balle. « Nous sommes en colère. Nous sommes allés à la CdC, conviés par tous les groupes opposants à la majorité, Core in Fronte, Avanzemu, Soffiu Novu. Une motion sera présentée mais Femu ne nous a pas reçus ».
« On ne peut pas se contenter des animaux bagués comme nous a indiqué le président de l’Odarc » dit encore Maryline Taddei, « je suis maîtresse, c’est comme si on me disait de m’occuper uniquement des enfants qui ont des parents qui s’en occupent et de délaisser les autres, qu’est-ce que ça veut dire ? Simu sbandunnati ! Ci vole à piglià e rispunsabilità è mette in securità a ghjente. Ùn hè più pussìbule d’andà à fà una spassighjata fora è d’esse in perìculu ». L’accident de Maryline Taddei a eu lieu en ville, au-dessus de l’hôpital de Bastia, sur un chemin régulièrement emprunté, y compris des personnes âgées. Elle cite aussi les bovins qui régulièrement approchent les écoles, notamment à la montée Sainte-Claire à Bastia mais partout le danger existe.
« Je suis triplement victime. J’ai les jambes brisées, je ne peux plus travailler et on va me saisir la maison parce que je ne peux plus payer mes frais » dénonce encore Maryline Taddei. Cambià Avà demande la reconnaissance et la prise en charge des victimes, que « les animaux ne soient plus en maltraitance » et que le problème soit réglé une fois pour toute. « Une mère devant son enfant s’est faite encornée. Vous imaginez la terreur ? » Elle cite d’autres accidents graves ayant touché des enfants, le traumatisme, les conséquences économiques, sociales, sociétales parfois. « C’est un cri de colère et d’alerte, on n’en peut plus » dit encore Maryline Taddei.
Un problème devenu fortement politique
Une élue de Core in Fronte était présente à la conférence de presse. Cambià Avà en est à sa quatrième manifestation publique en deux ans. Des réunions qui n’ont rien donné, des promesses de réunions de travail qui n’ont pas eu de suite, des demandes d’audiences infructueuses, des effets d’annonces… « C’est grave ! »
« Les vrais agriculteurs nous défendent parce qu’ils aiment leur métier, ils aiment leurs bêtes. Les quelques personnes qui laissent divaguer leurs animaux ne sont pas des agriculteurs, ce sont des voyous. Hier on a appris que pour la Haute-Corse, 90 % des bovins déclarés ont été pucés avec le bolus*. C’est une bonne chose, mais quid de ceux qui ne sont pas pucés ? »
« La commune de Bastia a un entrepôt pour les animaux. Il n’y a pas de gardiens, pas de nourriture, pas d’eau, et les portes sont tout le temps ouvertes. Est-ce que c’est une gestion correcte ? » interroge encore l’association. Des mesures ont été prises, quelques abattages mais c’est une fêtu de paille face à l’ampleur du problème. « Nous sommes pour la règlementation. On veut que les agriculteurs puissent travailler en paix. Nous sommes un territoire pastoral, d’élevage, mais ça réclame une vraie gestion et les autorités ne sont pas à la hauteur du problème » plaide l’association qui interpelle les responsables de la santé en Corse, notamment au sein de l’Exécutif. « Il y a la tuberculose, il y a des blessés, le domaine de la santé publique doit être pris en charge ! » Encore une fois que fait-on pour les victimes ?
Comment faire ?
Un débat s’installe avec les journalistes présents. Réunir tous les acteurs pour que chacun puisse s’occuper de sa partie n’est-ce pas le minimum minimorum ? Trois pistes : 1/ la prise en charge des blessés – 2/ la lutte contre la divagation d’animaux bagués ou pucés – 3/ les animaux ensauvagés qui n’appartiennent à personne, à identifier et à soigner. Arritti interrogeait lors d’un précédent article la possibilité d’un recensement, d’un tri entre les animaux malades et les animaux sains, de leur traitement puis d’une remise sur le circuit de la consommation des bêtes saines. « Il y a un délai légal qui veut que l’animal soit surveillé, nourri, etc., pendant au moins six mois avant de pouvoir le remettre dans le circuit de la consommation. Ce qui représente un coût bien entendu que personne ne veut assumer » explique Marc Austrem, viceprésident de l’association.
Un besoin donc à faire évoluer aussi la législation pour une prise en charge complète et pour permettre la résorption progressive de ces animaux sans propriétaire. « C’est une demande de beaucoup de maires qui n’ont pas les moyens de cette prise en charge. Quel vétérinaire est équipé en Corse pour parquer et faire stériliser un taureau sauvage de 500 ou 600 kg ? Personne ! » répond Marc Austrem.
« C’est ce que demande l’association depuis le début : mettre autour d’une table toutes les personnes concernées pour essayer de réfléchir à des solutions. Mais quand il y a des réunions on n’est pas invité » déplore Michel Vernet-Cristiani.
« L’Odarc nous dit “ce n’est pas de notre ressort, c’est du ressort des maires”. Quand on interroge les maires, ils nous disent “on n’a pas les moyens”. Et quand ils ont les moyens, ils ne font rien, parce que souvent le maire c’est lui l’éleveur, si ça n’est pas lui c’est son frère ou son neveu, et si ce n’est pas son neveu, c’est le cheptel électoral » dénonce Dominique Moneglia.
Un code Rural défaillant
Le code rural est aujourd’hui défaillant compte tenu du nombre de bêtes en divagation. Même des villes comme Bastia ou Aiacciu sont confrontées au problème, alors que peut-on attendre d’une petite commune rurale ? « Chacun renvoie la balle à l’autre » déplore encore Dominique Moneglia, « le bolus c’est une chose, mais il faudra que la Collectivité de Corse, les chambres d’agriculture, les syndicats d’éleveur et les groupements de maires, c’est à eux de se structurer. C’est à ces quatre instances là de trouver des solutions, avec l’État aussi parce qu’il est en exercice de contrôle. Mais tant qu’il n’y a pas ces quatre ou cinq organismes pour débattre et trouver des solutions, on n’y arrivera pas ».
« Pour reprendre les propos de M. Colombani, “la divagation animale est un échec collectif”. Il faut que collectivement on se retrousse les manches, qu’on se mette au travail pour arrêter ce massacre » dit encore Maryline Taddei.
« En moins de deux ans, uniquement sur des articles de presse, on a recensé une trentaine d’accidents » informe Dominique Moneglia pour qui ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Les Chemins de fer de la Corse recensent 21 collisions avec les animaux. Il y a moins de 10 ans, ils étaient à peine une dizaine. « Nous avons rencontré à notre demande des groupes politiques à l’assemblée de Corse, des questions orales ont été posées, la réponse c’est “ça n’est pas de notre ressort”. On ne peut pas se contenter de ça. Le président de l’Office du développement agricole et rural de la Corse n’est pas le président des bovins bagués, il représente le développement rural et économique de l’île… Une motion a été posée en décembre, après débat à l’assemblée, renvoi en commission ! Janvier est passé, toujours rien. À la demande de Core in Fronte on pourrait être conviés en février. On attend de voir. »
« Nous avons aussi sollicité auprès de M. le préfet de Haute-Corse une audience à deux reprises. Il ne nous a pas reçus. M. le président Gilles Simeoni, non plus » déplore encore l’association qui se sent méprisée et qui demande maintenant à être reçue par le préfet de Région. « Dans quelques années, on aura 50.000 bêtes dans le maquis. On continuera à se renvoyer les responsabilités ? On attend une réaction des politiques ».
Faudra-t-il attendre un statut d’autonomie pour poser un tel débat et commencer à le résoudre ? •
Fabiana Giovannini.
* Puçage électronique dans l’estomac des bovins afin de combattre la tricherie de certains éleveurs. Ce qui permettra de disculper les vrais éleveurs.